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Critique de batlamb


Romain Gary confronte ses origines juives ashkénazes à la barbarie nazie, mêlées ici par un maléfice issu de la mythologie kabbalistique : le dibbouk, un spectre revenu posséder celui qui lui a fait du tort de son vivant. Ce dibbouk du nom de Genghis Cohn sert d'alter ego à Gary, qui décrivait son ascendance comme celle d'un « tartare mâtiné de juif ». D'où le nom farfelu de ce héros mort-vivant, obstinément attaché à l'humanité, mais refusant d'en faire totalement partie. Cohn ne prend corps qu'à travers son bourreau de la Shoah, l'ex-nazi répondant au doux nom de Schatz (« trésor » en allemand). Dans la mauvaise conscience de ce dernier vagabonde et folâtre le dibbouk. Cela en fait une sorte de juif errant, que son compagnon involontaire voudrait toujours chasser, pour ne plus avoir à subir son ironie :

« Quand je pense à tout ce que nous autres, Juifs, avons infligé à la conscience allemande, j'ai de la peine. Mon coeur saigne. »

Comme tous les fantômes, Cohn fait de l'esprit. Et puis, en tant qu'ancien artiste de cabaret, il condense à lui seul les traditions de la hora et du théâtre yiddish. Notre héros n'est donc jamais à court de gesticulations enjouées. Les formules provocantes frappent jusqu'en-dessous de la ceinture. Elles affleurent à la façon d'un « poing juif levé hors d'une bouche d'égout ».

Dans ce récit où règne l'allégorie, l'humanité apparaît sous les traits d'une femme nymphomane éprise de beauté et de culture, qui cherche à protéger les « trésors » de son esprit, et se livre à une quête éperdue de la jouissance. Près de vingt ans avant Kundera, Gary amorce ici une réflexion sur le kitsch, cette "négation absolue de la merde" qui cherche à réduire Cohn à une image d'Epinal où à un « frère humain » dépourvu d'identité propre, afin de mieux s'en débarrasser. Ainsi Gary anticipe-t-il cette citation pessimiste de Kundera : « la fraternité de tous les hommes ne pourra être fondée que sur le kitsch ». En réaction à cela, Cohn manifeste une fraternité iconoclaste, en faveur d'un bouc (émissaire ?) et de l'océan, espoir d'une évolution qui permettrait de créer l'humanité, pour remplacer sa parodie.

Par le mauvais goût assumé de ce livre, Gary combat en lui-même cette tendance au kitsch, et va jusqu'à s'accuser par la bouche de ses personnages (conscients de peupler un subconscient), de vouloir « s'en tirer avec un livre », comme tous les écrivains qui cherchent à évacuer leurs fantômes à peu de frais.

« J'ai toujours pensé que si on parle toujours d'Auschwitz, c'est uniquement parce que ça n'a pas encore été effacé par une belle oeuvre littéraire. »

Si la première partie du roman fait la promesse fallacieuse d'une intrigue à mi-chemin entre le policier et le fantastique, on a, en somme, plutôt affaire à un mélange d'essai et de comédie burlesque, où les mêmes leitmotivs reviennent à un rythme infernal, si bien qu'ils finissent par se mélanger inextricablement, comme les anneaux d'un python. Ce texte ressemble ainsi beaucoup à Gros-Câlin dans le style, mais également au Vin des Morts, par son humour souvent scabreux et violent (avez-vous déjà vu la Joconde subir les avances d'un bouc ?). Nous avons là le mélange des tendances les plus extrêmes de Gary, et ce jusqu'au boutisme semble a priori destiné à ses lecteurs avertis. Mais je serais curieux de connaître l'avis de quelqu'un qui l'aurait découvert avec ce texte.
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