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Critique de ClaireG


«On ne peut pas partir au combat avec l'espoir de revenir intact. Au départ, déjà, il y a le sang et le deuil. Au départ, déjà, la certitude qu'il n'y aura aucune victoire pleine et joyeuse».

Par ces mots, on sait à quoi s'en tenir.

La destruction organisée du patrimoine culturel et religieux de Hatra, de Mossoul, de Palmyre, de Tombouctou, de Bâmiyân, ainsi que le vol d'objets d'art et les attentats internationaux revendiqués par les hommes en noir, ont certainement impressionné et inspiré Laurent Gaudé, comme chacun de nous.

Cette folie meurtrière s'arrêtera-t-elle ? Est-elle particulière au bond économique et technologique des XXe et XXIe siècles ? Quelle victoire peut être revendiquée face à la mort de dizaines de milliers de personnes ? Combien de batailles pour rien tant qu'il n'y a pas de vainqueur ? Comment continuer à vivre avec ces visions d'horreur et de peur ?

A partir de la rencontre d'Assem avec Mariam, Laurent Gaudé s'interroge sur les concepts de vainqueur, de vaincu, de défaite et d'échec. Assem, choisi par la DGSE, doit retrouver un homologue de la CIA déserteur. Mariam, archéologue irakienne, recherche les oeuvres d'art volées et dispersées à travers le monde. Tous deux sont des spécialistes lucides, compétents et sans illusion sur la finalité de leurs missions.

L'Histoire d'hier rejoint celle d'aujourd'hui avec ses fracas, ses triomphes et ses erreurs. Elle laisse les traces de ceux que les siècles appelleront héros, même s'ils sont responsables de la mort de centaines de milliers de personnes. Peut-être au nom d'un idéal comme le général Grant lors de la Guerre de Sécession. Peut-être au nom de la liberté de son peuple comme Hannibal. Peut-être pour dénoncer la lâcheté de la Société des Nations comme Haïlé Sélassié. La conclusion, pas neuve hélas !, c'est que L Histoire a beau démontrer les horreurs de la guerre et les générations successives ont beau répéter « Plus jamais ça », l'orgueil, la démesure et la violence emportent toujours les hommes.

Cinq personnages principaux sont confrontés aux victoires et aux défaites :
Hannibal, guerroyant et gagnant ses batailles contre les Romains pendant plus de vingt ans, rencontre la défaite et la trahison dans ses alliances avec le vainqueur.
Ulysses Grant gagne la guerre civile américaine et est élu deux fois à la présidence des Etats-Unis. Sa défaite a été de garder le surnom de « boucher » pour le restant de ses jours et d'avoir vu la corruption ronger son administration.
Haïlé Sélassié sait que son armée, abandonnée par les grandes puissances, ne résistera pas à la mitraille implacable des Italiens de Mussolini. Sa défaite a été sanctionnée par l'exil mais il eut le courage d'accuser de lâcheté l'attitude de la SDN qui tourna le dos à l'Ethiopie quand elle subit les agressions de l‘Italie.
Assem Ghraïeb ne remporte aucune victoire lorsqu'il participe à l'assassinat du président libyen Kadhafi. Il accomplit une mission et sert sa patrie. La suivante est d'analyser si son homologue américain, qui a tué Ben Laden, est « récupérable » ou s'il doit être « neutralisé ». Sa défaite est de ne trouver aucun sens aux missions urgentes qui lui enlèvent chaque fois un peu de son humanité.
Mariam, l'Irakienne au service de l'Unesco, anéantie par les dynamitages des trésors de Libye, de Syrie ou d''Afghanistan, éprouve sa réussite chaque fois qu'elle retrouve des oeuvres volées à travers le monde. Sa défaite est sa rupture sentimentale et l'annonce de la maladie qui ramène tout être vivant à l'état de poussière d'où sont sorties les pièces exposées dans les musées.

Ce qui mène ces cinq personnages, c'est le fait de tenir, d'aller de l'avant, de ne pas lâcher. Même s'il y a défaite, ne jamais renoncer. C'est une formidable leçon de vie.

La force de Laurent Gaudé réside dans l'illustration des états d'âme de ses personnages. Sa virtuosité est de rendre son récit haletant, émouvant et passionnant. Plus la bataille fait rage, plus l'impact est violent, plus les pertes sont lourdes, plus les paragraphes sont courts et les phrases percutantes, ce qui crée une tension intense dans la lecture. le questionnement lancinant au fil des pages accroît la réflexion, abolit les époques et les frontières, accélère la dynamique de l'action.

L'amertume de Mariam et d'Assem trouve un répit dans une nuit d'amour. L'une raconte les rites égyptiens consacrés à la mort des Taureaux Apis et le mythe du dieu Bès, l'autre récite des vers de Constantin Cavafy et de Mahmoud Darwich. L'art et la poésie résistent à toutes les horreurs de l'Histoire. Comme elles, ils sont sans cesse recréés.

Sûrement une gageure que de mélanger ces différentes périodes de l'Histoire, de choisir les héros significatifs, vainqueurs et vaincus à la fois, mais pour moi, c'est une réussite entière. Un livre à recommander.


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