5. « L'imaginaire managérial à l’œuvre dans les entreprises hypermodernes se veut l'élément moteur du projet de globalisation économique. Sous couvert de rationalité économique, d'objectivité scientifique et de pragmatisme gestionnaire, cet imaginaire légitime la logique exclusive de profit comme moteur du système économique, l'enrichissement individuel comme moteur d'un projet de vie et l'utilitarisme comme moteur du lien social.
Sous couvert de rationalité, le management est en définitive une idéologie qui tend à occulter la conception du pouvoir qui le fonde. Cette idéologie légitime une vision marchande de l'humain comme ressource pour naturaliser sa mise à disposition de l'entreprise comme facteur de production. Elle applique au travail les principes de gestion conçus pour gérer la production de biens. Elle développe une approche objectivante des organisations humaines qui est l'une des principales sources de mal-être au travail. Elle transforme l'individu en capital qu'il doit rentabiliser sur le marché de l'emploi, elle réduit le travail à sa valeur productive selon les étalons de mesure imposés par la logique financière, elle objective le "facteur humain", ce qui entraîne un processus de désubjectivation systématique sur les plans affectif, émotionnel et réflexif. » (p. 297)
4. « Les patients sont, eux aussi, entraînés dans cette mutation idéologique et technologique. Ils deviennent les clients d'une entreprise de soins qui les invite à chercher le meilleur rapport qualité-prix, à mettre en concurrence les soignants et les services, à gérer leur capital santé au meilleur coût, dans les délais les plus courts. Si l'humain est une ressource qu'il convient de gérer au mieux pour la mettre au service de l'efficacité économique, il est normal que le patient participe lui-même à ce conditionnement : guérir pour redevenir employable et s'adapter au marché du travail. Il lui faut intégrer que la maladie est un coût pour la collectivité qu'il doit réduire. Il est donc responsable de sa santé, se doit de se maintenir en forme. La santé n'est plus un droit, mais un devoir. » (p. 182)
2. « [Le contrat de travail] décrit les apports respectifs de l'employé et de l'entreprise, les droits et les devoirs de chacun, les contributions et les rétributions attendues. Dans le contrat narcissique, il s'agit d'autre chose. L'entreprise propose aux employés un défi qui est de l'ordre de l'idéal. Elle leur offre le moyen de se dépasser, de se surpasser, d'atteindre l'excellence. Ce contrat imaginaire s'appuie sur la concordance entre les valeurs de performance et d'excellence présentées par l'entreprise et les désirs de toute-puissance, les idéaux de perfection plus ou moins inconscients. Ce n'est pas seulement la force du travail qui est sollicitée mais l'énergie libidinale. » (p. 34)
1. « La crise du travail touche tous ces registres, le faire, l'avoir et l'être. Le mal-être au travail est, à ce titre, un symptôme. Il est la conséquence d'un déficit de reconnaissance sur les trois plans : une activité dévalorisée, non reconnue ou qui perd son sens ; des rétributions qui ne sont pas ou plus à la hauteur des contributions attendues ; une vulnérabilité identitaire qui provoque un manque à être, un conflit entre les aspirations existentielles et leurs réalisations, une rupture interne entre le moi et l'idéal qui fragilise les assises narcissiques. » (p. 27)
3. « Bon nombre de spécialistes mettent en avant le coût humain et le coût économique des risques psychosociaux, parce qu'ils pensent que c'est le seul argument recevable par les gestionnaires. Les experts ont intériorisé l'idée que c'est en faisant la démonstration que le stress représente un coût financier important qu'ils pourront obtenir l'oreille des dirigeants et les amener à entériner les "solutions" préconisées. Leur position a le mérite d'être pragmatique. Mais le réalisme peut être mauvais conseiller. En effet, ce point de départ conduit à considérer le mal-être au travail à travers le prisme du coût qu'il représente et à construire des "solutions" qui permettent de réduire ce coût. Or, la réduction des coûts ne conduit pas forcément à l'éradication des causes. » (pp. 132-133)