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Critique de nanouche


La panthéonisation de Maurice Genevoix (1890-1980) le 11 novembre 2020 était un bon prétexte pour relire Ceux de 14, un gros ouvrage de près de 800 pages qui réunit des textes parus primitivement en cinq volumes, entre 1916 et 1923.

En août 1914 Maurice Genevoix a 24 ans. Il est sous-lieutenant et prend le commandement d'une compagnie très rapidement engagée au front. Il se bat jusqu'en avril 1915, date à laquelle il est grièvement blessé puis réformé. le récit se présente comme un journal de guerre avec d'abord des entrées quotidiennes puis hebdomadaires.

L'auteur y apparaît comme un officier soucieux de ses hommes, sans doute aimé par eux, et très paternaliste. Quand il dit, par exemple, de son ordonnance Pannechon : "il me regarde de ses bons yeux dévoués", j'ai l'impression qu'il décrit un chien. Cela va avec la conviction que le caractère d'une personne se lit sur son visage. Ses soldats sont des hommes du peuple, francs, simples, pleins de bon sens et cela saute aux yeux.Un des rares qui lui déplaît c'est Durozier "pacifiste au sirop de groseille, barbu comme une réclame de sève capillaire, douceâtre, poli, dangereux". C'est en fait un lâche et il trouve peu d'écho auprès de ses camarades mis à part Douce, "un gnome louche, une espèce de garçon de café bookmaker". de même les Allemands, les Boches, sont systématiquement traités de façon dépréciative. Gros et roses ils sont régulièrement comparés à des cochons, ils puent et abattent les Français avec une "joie sauvage". L'auteur rapporte comment il a lui-même tué des soldats allemands mais c'était alors un réflexe, "il s'agissait de tuer ou d'être tué". Les moments sont rares où il montre qu'il a conscience que les Allemands connaissent les mêmes souffrances que les Français.

En dehors de ces aspects qui m'ont déplus j'ai beaucoup apprécié cette lecture. Maurice Genevoix écrit excellemment. Il est attentif au moindre détail et restitue très bien toutes ses sensations. Il y a de fort belles descriptions de paysages. L'auteur apparaît comme un jeune homme résilient qui s'efforce de profiter des bonnes choses chaque fois que possible et est capable de voir la moindre parcelle de beauté, même au coeur de l'horreur. Et de l'horreur, il y en a. Il me semble que tout est dit de la fatigue, du froid, de la boue, des corps déchiquetés par les obus. Il y a des détails qui sentent le vécu : "Des cartouches terreuses, des fusils dont le mécanisme englué ne fonctionnait plus : les hommes pissaient dedans pour les rendre utilisables". Je découvre en plus la nuit : les déplacements et relèves se font de nuit. Départ à trois heures du matin, longue marche dans le noir. Quand on quitte la route chaque soldat tient un pan de la capote du précédent pour se guider. le moment le plus terrible c'est cinq jours d'une offensive très meurtrière, du 17 au 21 février 1915, aux Eparges. La compagnie de Maurice Genevoix comptait 220 hommes avant la bataille, seuls 80 sont rentrés vivants. C'est là qu'est mort Porchon. Robert Porchon était le meilleur ami de guerre de Maurice Genevoix. Pendant six mois ils ont quasiment tout partagé : lit, gamelle, conception de la vie et sens de l'honneur. Robert Porchon a été tué le 20 février 1915. Il avait 21 ans.

Sur la longueur de l'ouvrage on voit évoluer l'idée que l'auteur se faisait de la guerre. Attention, jamais il ne remet en question le bien fondé du conflit dont il fait porter toute la responsabilité à l'Allemagne. Il est très patriote et, puisque son pays est agressé, il fait son devoir sans sourciller. J'ai dit précédemment ce qu'il pensait des pacifistes. Cependant, témoin des conséquences désastreuses d'ordres donnés sans tenir compte du terrain, il lui arrive de critiquer le commandement supérieur :

"Toujours le même dogmatisme raide, la même fate confiance en soi, le même refus de se soumettre aux faits".

"J'ai vu trop de choses dégoûtantes pour être dupe encore des mots. Pourquoi nous battons-nous maintenant et de cette façon ? Pour défendre quoi ? Gagner quoi ? Ces "gens-là" se leurrent volontairement, j'en suis sûr ! Il ne peut pas en être autrement".

Quant à moi je vois bien toute l'absurdité et l'inanité de ce grand massacre que fut la Première Guerre Mondiale. La grande tristesse enfin de tous ces jeunes gens sacrifiés : "On vous a tués et c'est le plus grand des crimes. Vous avez donné votre vie, et vous êtes les plus malheureux. Je ne sais que cela, les gestes que nous avons fait, notre souffrance et notre gaieté, les mots que nous disions, les visages que nous avions parmi les autres visages, et votre mort.

(...) Combien de vos gestes passés aurais-je perdus, chaque demain, et de vos paroles vivantes, et de tout ce qui était vous ? Il ne me reste plus que moi et l'image de vous que vous m'avez donnée.

Presque rien : trois sourires sur une toute petite photo, un vivant entre deux morts, la main posée sur leur épaule. Ils clignent des yeux, tous les trois, à cause du soleil printanier. Mais du soleil, sur la petite photo grise, que reste-t-il ?"
Lien : http://monbiblioblog.revolub..
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