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Voilà un témoignage absolument irremplaçable sur la Grande guerre. J'ai commencé ma lecture avec un mélange d'impatience mais aussi d'appréhension, après avoir été décontenancé par le lyrisme stratosphérique de la Forêt perdue. Heureusement, il n'y a ici rien de cela : si la langue est belle, le ton et la narration sont sans la moindre affectation, au plus près des hommes qui ont entouré Genevoix sur le front. On ne doit pas s'attendre à une quelconque dramatisation du récit : c'est un journal de guerre, extraordinairement lucide et bien écrit, mais sans autre scénario que celui de la guerre, au jour le jour, dans toute son humanité et son inhumanité. Cela s'étend sur près de huit cent pages, racontant l'horreur par le menu, mais également la monotonie de l'horreur. Car la guerre se définit aussi par une addition de temps vides, peuplés d'ennui, habités par la répétition des mêmes gestes, des mêmes moments, des mêmes rituels, avec des variations aussi subtiles qu'infinies. Entre le temps à tuer et le temps qui tue, les soldats cherchent désespérément à raviver le souvenir de leur vie d'avant. Parfois, ils portent comme une croix le remords d'avoir un jour mal agi, et de ne peut-être jamais pouvoir se faire pardonner. Ces pages-là serrent souvent le coeur. Le lecteur impatient pourrait être tenté d'aller tout droit au quatrième et dernier volume de l'ensemble, Les Éparges. C'est le plus célèbre, le plus violent et spectaculaire, le plus conforme en un mot à ce que l'on croit savoir de la Première Guerre mondiale. Faire l'économie des premiers tomes serait à mon avis une grave erreur, qui priverait de la compréhension profonde de l'oeuvre : les huit cents pages qui mènent à l'apocalypse des Éparges sont un chemin qu'il faut accepter de parcourir pour espérer en saisir le sens, si tant est qu'une abomination telle que celle-là puisse avoir un sens. Les héros sont sacrifiés par la patrie, vite enterrés, aussi vite remplacés, promis certes à une gloire collective mais à l'oubli individuel. Genevoix leur rend ici justice : ils sont une centaine, dit-il, qui l'ont accompagné dans cette guerre. Une centaine de destins brisés, de vies interrompues ou mutilées. Des croix, des fosses, des photos pâlies... Et Genevoix qui leur redonne le souffle, qui leur rend un visage et les fait parler de nouveau. Le plus bel hommage qu'un ami et que la littérature pouvaient leur rendre. + Lire la suite |