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Critique de oiseaulire


Madame de Genlis, née en 1746 "Stéphanie Félicité du Crest", fut la préceptrice des enfants d'Orléans et notamment du futur roi Louis-Philippe.
Elle entama une carrière de femme de lettres et obtint un succès considérable en son siècle, comparable à celui de madame De Staël ou de Diderot : D'Alembert lui proposa d'entrer à L Académie Française, ce qu'elle refusa pour conserver son indépendance à l'égard des encyclopédistes.
Son statut d'auteur lui valut une renommée parfois entachée de dénigrements et de jalousies.
Elle vécut la Terreur en exil (son mari fut guillotiné).
Elle écrivit en 1802 à l'âge de soixante ans les "Nouveaux contes moraux et nouvelles historiques" dont est extraite cette nouvelle intitulée "La Femme auteur".

Sa renommée ne lui survécut pas, ce qui fut le lot de la majorité des femmes écrivains célèbres en leur siècles, et qui furent presque toujours biffées des listes lorsque se firent jour des projets d'encyclopédies littéraires et de catalogues éditoriaux.

"La femme auteur" ressemble beaucoup à une nouvelle sentimentale, mais n'est pas sans rapport avec "La Princesse de Clèves" à un siècle de distance. Comme le roman de madame De La Fayette, elle dépasse de loin l'intrigue sentimentale pour brosser la contrainte impitoyable que la Cour fait peser sur tous, et sur les femmes en particulier, qui doivent rester maîtresses en toutes circonstances de leurs sentiments, de leurs doutes, de leur désarroi, et se faire respecter des hommes et de leurs semblables avec des manières toutes de douceur, de retenue, de réserve et de modestie ; ce qui, on en conviendra, constitue pour chacune d'entre elles une carrière digne d'un diplomate.

Mesdames de Genlis et De La Fayette ont en commun une délicieuse clarté de style ainsi qu'une assez piètre opinion de la constance masculine qui s'exprime avec subtilité, nuance, et comme sans en avoir l'air : l'amour de Germeil, le soupirant de Natalie, comme celui du duc de Nemours , est conditionné par des passions de premier plan : narcissisme ou désir de plaire, ambition, carriérisme. Ces passions primordiales évoluent au gré de leur situation dans le monde et prennent le pas sur le sentiment amoureux proprement dit, qui ne leur est agréable qu'autant qu'ils bénéficient du reflet valorisant de la femme aimée. Celui-ci vient-il à s'éclipser, sous l'effet par exemple, des préjugés de cour, et le charme n'opère plus.
Dès lors, ils apparaissent volages et inconsistants, prêts à se vendre à la plus offrante comme s'y résout Germeil.
Et l'on en vient au titre de la nouvelle "la femme auteur". Quel est en effet ce "préjugé de cour" qui ternit ici l'image de la femme aimée ? Rien moins que la désapprobation qu'elle suscite en s'exposant dans l'espace public en éditant ses oeuvres. Devenue l'égale des hommes avec moins d'éducation, elle ne peut que leur faire sentir une supériorité de fait qui les exaspère au plus haut point tout en excitant la jalousie et la réprobation des femmes qu'elle semble prendre en flagrant délit de complaisance pour leur rôle subalterne et de manque de foi en un destin personnel. Dès lors, mis à part la fréquentation qu'on lui souhaite d'une petite société de pairs, la femme auteur se voit exclue du monde des hommes et de celui des femmes.
Et c'est ainsi que Natalie perdra l'amour de Germeil qui, voyant en elle une égale, y voit par voie de conséquence une supérieure ; ce que son amour-propre ne saurait tolérer, tant est puissant en nous le conditionnement social et fragile le sentiment amoureux.

Madame de Genlis semble avoir écrit un manifeste impitoyable qui condamne la femme auteur à une sorte de mort civile. La fin est morale : Natalie perd l'homme qu'elle aime, l'estime de la cour et sa fortune. Néanmoins elle ne peut s'abstenir de préciser que si Natalie perd tout cela, elle gagne une rare indépendance, un rayonnement personnel et la reconnaissance de certains passionnés comme elle de la chose littéraire.

Il saute donc aux yeux que ce plaidoyer si contraire à l'ambition éditoriale des femmes et conforme aux conventions sociales, est bien un anti-plaidoyer : il se dégage en effet du texte un fort relent autobiographique et un message opposé au message explicite : le parcours de la femme parfaite confite en modestie et raisonnable à en mourir qu'elle feint d'encenser en le couvrant d'éloges exponentielles paraît finalement bien terne à côté de celui, tout parcouru d'embûches, de chagrins et de difficultés de la femme auteur Natalie. C'est-à-dire elle, madame de Genlis ; et toutes celles qui l'ont précédée et la suivront.
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