Amère Méditerranée

La neige était fabriquée par des canons, il n’y en avait que sur les pistes, on aurait dit des toboggans. On faisait la queue aux remontées, la queue pour descendre, la queue pour boire un verre ou manger… Moi qui croyais la montagne aussi sauvage que la mer, je n’ai trouvé là-bas qu’un parc d’attractions !

Sur les murs de la digue, des habitants de l’île ont écrit il y a quelques années à la peinture rouge : « Protégeons les peuples, pas les frontières ». Nous avons toujours été ici du côté des naufragés. C’est un état d’esprit, une culture. Notre identité. Nous sommes des gens de la mer, notre île est un radeau. Si elle avait dérivé plus au sud, nous ne serions pas un avant-poste de l’Europe mais un point de départ de l’Afrique. Notre sort s’est joué à quelques miles. Nous en avons conscience.

Aigre, âpre, tenace. Une odeur de fiel et de sueur, un remugle de peur et de mort. Même l'haleine du diable ne pouvait empester autant que la moiteur épaisse imprégnant cette cale.

J'aime la Méditerranée lorsqu'elle est pont entre les civilisations, passerelle entre les peuples. Pas lorsqu'elle n'est plus que mur ou frontière. Encore moins lorsqu'elle devient tombeau.

[…] pour éviter ces ennuis, nos pêcheurs vont plutôt vers le nord et quand ils tombent sur un cadavre, certains n'hésitent plus à le rejeter à la mer.

[…] officiellement, il s'agit d'abriter les migrants du soleil ; officieusement, les autorités souhaitent surtout les soustraire à la vue délicate des vacanciers. Le tourisme est la première richesse de l'île.

Et c’est encore sur ce stock que je puise aujourd’hui pour restaurer l’engin devenu collector. Ou vintage. Je n’ai jamais bien pigé la différence entre ces deux mots inventés pour désigner des objets autrefois à la mode, qui se sont retrouvés un jour désuets puis ringards avant de connaître subitement un regain de faveur.