Il y a des romans dont on pense, quand on les referme, qu'ils sont l'exacte raison pour laquelle nous, lecteurs, passons notre temps à arpenter bibliothèques et librairies, en quête d'un souffle, d'une émotion, d'un peu d'or et de lumière... Des romans qui sont à la fois si beaux et si douloureux que les lire est une souffrance presque aussi insoutenable que de les terminer.
"
La Mélancolie des Baleines" est de ceux-là, qui mêle la poésie à la tristesse, la beauté à la douleur, la temporalité du conte à la nôtre, l'amour le plus fou à la solitude la plus déchirante, les paysages d'Islande à la langue française...
Il y a chez
Philippe Gerin un peu de Jon Kalmann Stefansson (!) et un amour, une culture de la langue, de ce qu'elle peut murmurer et chanter que je n'ai que trop peu rencontré dernièrement, une manière de faire danser et s'écouler les mots d'une pureté absolue d'autant plus confondante qu'elle ne manque pas non plus de texture, d'opulence, de richesse. Et cette grâce, loin de n'être que formelle, se fait déchirante tant elle dit, du coeur de sa beauté, la tristesse, le deuil, la solitude, l'amour, la peur. Les émotions dans ce qu'elles ont de plus brut, de plus absolu, de plus beau et de plus terrifiant.
Cela fait certes de "
La Mélancolie des Baleines" un roman exigeant mais intense aussi, bouleversant, hypnotique. le genre de roman qui vous happe, vous agrippe et ne vous lâche plus jusqu'au dernier sanglot, jusqu'au dernier élan vers la beauté indescriptible de cette histoire et s'il ne fallait en garder qu'une phrase, je conserverai celle-ci: "La poésie, c'est tout ce qui reste quand le monde est en morceaux".
L'intrigue prend corps aux confins de l'Islande, sur cette île aussi âpre que belle, froide et volcanique, si dure pour qui ne sait pas en percevoir la chaleur et la beauté.
Là, tandis que s'échouent -comme sur toutes les plages du monde- des baleines presque par dizaines, rappelant ainsi aux hommes oublieux l'état du monde et de leur planète, les destins d'Arna, de Gudmundur, de Sasha, Ayden et Eldfell vont se croiser et ce qu'ils vivront ensemble au cours d'une nuit de tempête et de sable noir les changera sans doute à jamais, autant, en tout cas, que toutes les fêlures, les ecchymoses, les meurtrissures même qu'ils portent en eux...
Ayden et Sasha ont promis à leurs fils Eldfell de l'emmener dans le pays où leur histoire a commencé, dans le pays qui lui a donné son prénom. Neuf ans plus tard, l'île a changé, tout comme les deux amoureux fous dont le bonheur tranquille n'est plus depuis qu'Eldfell souffre d'un mal dont il ne guérira pas. Ce voyage, qui sera peut-être le dernier de l'enfant, a pour eux le gout doux-amer des souvenirs et de la nostalgie de ce présent déjà si lointain.
Arna, elle, revient dans la maison bleue de son enfance après toute une vie passée au service des autres. Dans la demeure qui surplombe la mer et les tempêtes, Arna retrouve aussi ses fantômes et surtout celui de son compagnon, disparu vingt-cinq ans plus tôt.
Chauffeur de bus, Gudmundur arpente chaque jour la même route mais sa vraie vie n'est pas là. Sa vie, elle naît à la nuit tombée quand il peut se pencher sur ses cahiers. Gudmundur se rêve écrivain mais de ses romans, il n'écrit que des bribes, en commençant par la fin. Il lui est impossible de remonter aux origines de ses histoires qui ressemblent sans doute un peu à la sienne... Celui qui fut un enfant trouvé et mal-aimé ne ressemble pas aux gens d'ici avec ses yeux vairons et son teint doré, celui qui fut un enfant trouvé et mal-aimé ne cherche rien de plus que quelqu'un à aimer.
Ce sont les baleines et la tempête qui finissent par réunir ces personnages aussi souffrants que le monde dans lequel ils évoluent, aussi désespérés et pourtant, et même si la fin du monde est proche, et même si le deuil, et même si la mort, ensemble ils feront l'expérience de l'espoir et de la lumière, de la fraternité et de la beauté. de celle du monde et de celle des hommes.
Et c'est sublime, beau à pleurer.