le ravissement est un papillon éphémère qu'on ne peut jamais garder pour soi, il est écrit sur ses ailes irisées qu'il partira au moindre coup de vent
Les histoires dont nous nous drapons sont rarement vues pour ce qu’elles sont, des histoires. Leurs fibres souples et délicates sont des deuxièmes peaux, des extensions de nos vies, des filtres qu’on ne saurait remettre en question. Lorsque je tente de retrouver ce que voyaient mes yeux d’enfant lorsqu’ils regardaient au travers, des décors s’agitent lentement, des impressions passent et parfois, comme en rêve, un moment figé se révèle, pris dans le verre. Tout est insaisissable.
Je suppose que nous portons tous une idée de notre enfance construite à partir des récits qu’on nous en a fait – quelques morceaux choisis plus ou moins consciemment par ceux qui racontent, selon qu’ils ont voulu donner un spin à l’histoire ou, au contraire, la rendre le plus fidèlement possible. Toutes les familles couvent leurs légendes, en mettant en lumière certains petits pans de vie qui semblent dignes de faire partie de l’histoire et qui deviennent, par la force des choses, l’histoire tout entière. C’est là que ma mémoire de mes premières années a poussé, dans un terreau nourri de récits, fondations à demi fictives écrites et contées par ceux qui, dans tous les sens du terme, m’ont mise au monde.
Alors je demande : sans pour autant passer le temps qu’il nous reste à patauger dans les eaux traitresses de la nostalgie, ne pourrait-on pas, un peu, devenir conservateurs de nos souvenirs alors que nous sommes encore pleinement présents au monde ? Ne devrions-nous pas ?
Ne plus se souvenir de son histoire, à l’échelle personnelle comme à l’échelle sociale, c’est commencer à s’éteindre.