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Critique de jvermeer


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Le 21 août dernier, j'ai critiqué le catalogue de la grande exposition consacrée au peintre Johannes Vermeer qui se tint en 1996 au musée du Mauritshuis à La Haye. Elle rassemblait la presque totalité des oeuvres peu nombreuses de l'artiste : 23 sur environ 35 connues. Je vous ai fait parcourir en ma compagnie, pas à pas, les petites salles et me suis arrêté devant chacune des toiles pour mieux vous les faire connaître.

Il se trouve que je viens de tomber sur une friandise littéraire, ces petits bonbons que l'on suçait autrefois, patiemment, avec délice, dans les salles de cinéma. Je possédais depuis longtemps le livre de Sylvie Germain qui se planquait dans ma bibliothèque. Comment l'avais-je oublié ? En le feuilletant, j'ai cru me retrouver une deuxième fois au Mauritshuis. L'auteure parlait des mêmes toiles du peintre. Avec d'autres mots. Je lisais un long poème qui distillait des fragments de vision de cette peinture trop limpide, fascinante, du « Maître de Delft »…

Un épais rideau s'ouvre sur « L'atelier du peintre ». Vermeer, assis sur un tabouret, est en train de peindre :
« Il est le maître des couleurs et dicte à chacune son rôle dans le grand jeu du visible pour mieux en révéler la mission au sein de la dramaturgie de l'invisible. »

Le peintre nous conduit à son modèle Clio, la muse de l'histoire, qui pose devant lui, le front ceint d'une couronne de laurier :
« Malgré sa position en recul, le modèle occupe en fait une place essentielle ; tout en effet conduit l'attention vers la jeune fille : la lumière qui la nimbe, la lourde oblique du rideau, la direction devinée du regard du peintre. (…) Clio est une chaste fiancée qui attend que le peintre l'unisse à la splendeur du visible, qu'il lui révèle le secret de la lumière, qu'il l'intronise épouse de l'invisible. Car c'est lui seul, le peintre, qui préside ici à la cérémonie des noces entre la poésie et la peinture, entre le chant et la lumière, entre la beauté et les couleurs. »

Puis, Clio pénètre dans une pièce où une « Liseuse » est penchée sur une lettre devant les carreaux plombés de la fenêtre ouverte qui l'éclaire :
« Et si la lettre (…) n'en était pas une ? S'il s'agissait d'une page arrachée au livre à couverture safran que tient Clio au creux de son bras satiné d'azur et de brume lunaire ? »

Une autre liseuse « La jeune femme en bleu » est installée devant une carte géographique :
« Son ventre porte un enfant, un nouvel être, un inconnu. Son ventre recèle la force du dehors dans le dedans le plus clos de sa chair, il abrite un étranger dans son intimité. »

Les nombreuses femmes de Vermeer sont transfigurées, seules, méditatives:
« Les doigts égrènent, des notes, des mots, des fleurs de dentelle, des gouttes de lait, des perles. Des doigts d'orantes qui caressent des rosaires de lumière. » ; « Leurs corps sont des fléaux d'invisibles balances où se pèsent le grain de la lumière ; leurs visages sont des masques de claire résonance où tinte une parole à jamais à venir. »

Pendant ce temps, quelques hommes travaillent.
« L'Astronome » :
« Chez Vermeer c'est la clarté qui découpe les ombres, leur assigne leur place, et qui, lorsqu'elle monte à l'aigu, blanchit les couleurs et allègent les formes. »
Un « Géographe » est penché sur une carte :
« Et l'on songe cette fois à Spinoza, compatriote et exact contemporain de Vermeer. (…) Spinoza, le solitaire polisseur de verres d'optique, l'artisan-philosophe dont la vision du monde et l'oeuvre qui en émane font écho à celle de Vermeer ; un écho de cristal, sec, net et limpide. »

« La jeune femme assoupie » somnole sur un rebord de table :
« Elle dort la lumière. Il ne faut pas la réveiller. Ses yeux seraient insoutenables de Beauté.
»
Vers la fin du livre, Marcel Proust intervient. Dans son roman « La Prisonnière » il envoie Bergotte aller admirer à une exposition « La Vue de Delft » :
« Pris d'étourdissements, il fixe son regard sur un détail du tableau. Il se répétait : « Petit pan de mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune. »
Une indigestion, le jaune l'éblouit tellement. Il s'écroule sur un canapé et meurt.

Cette « Vue de Delft », baignée dans une lumière dorée, termine le parcourt poétique :
« La Vue de Delft est un voyage dans l'immensité close au coeur de l'apparence, une lente dérive dans les remous de l'immobilité, un embarquement de l'instant pour l'absolu et pour l'éternité. »

Il existe une troublante relation entre la peinture et l'écriture, deux arts s'influençant mutuellement. Sylvie Germain en fait une éclatante démonstration poétique dans ce livre succulent qui ne parle plus de peinture mais d'art : pureté… apparence… beauté… vie…

« Toutes l'oeuvre de Vermeer est un arrêt au bord de l'extrême du visible, de la lumière et des couleurs ; à la lisière de l'invisible et de la nuit. »

Je ne vous dirai pas si j'ai aimé ce livre. Vous l'aurez facilement compris.



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