Mon père avait atteint l'extrémité droite de son long rouleau, les personnages démoniaques y dansaient comme ils l'avaient fait sous nos yeux. Leurs corps abominables paraissaient tournoyer encore sur la surface lisse du papier lustré… Cette soirée m'avait changée à jamais.
Je n'étais pas en mesure d'exister sans mon père, ma propre identité reposant sur la sienne. Je n'étais plus personne, imaginais sans cesse les instants privilégiés qu'il vivait loin de ma présence. Mon père était inaccessible, introverti et absent mais il était ma raison d'être...
Je roule ses dessins, les retire de leur vue et les range pour écourter leurs bavardages acerbes. Je les maudits en silence, exècre leur mépris. Je plains leur ignorance, leur inexpérience et leur imbécillité. Ils n’accéderont jamais à la beauté et resteront asservis à l'illusion d'une perfection et d'une excellence.
Mon père cherche un point central et non le meilleur point de vue, fuit les univers divinement ordonnés. Il cherche la ligne pure sans sophistication, il cherche une présence.
Un père nous ouvre le monde, construit votre être loin des peurs archaïques et vous donne de l'amour pour toute votre vie...
Seul un père donne une valeur...on naît pas femme sans la reconnaissance d'un père. Il faut sans cesse réparer les manques, raccommoder cette lourde lacune de la vie...