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Critique de mh17


J'avais beaucoup aimé les Voix du soir et là, j'ai dévoré Les Mots de la tribu, prix Stega 1963.
Natalia Ginzburg (1916-1991) raconte sa famille depuis les années 30 jusqu"au début des années 50 à travers les mots, les expressions ressassées ou les anecdotes ressurgis du passé qui font d'eux une tribu singulière. La narratrice est la petite dernière. Sa voix semble effacée. D'abord derrière celle des grands, dans l'enfance. Puis contrainte au secret durant toute son adolescence et sa vie de jeune femme, marquées par le combat clandestin anti-fasciste de ses frères puis les persécutions anti-juives et l'arrestation tragique de son mari, Leone Ginzburg. L'écriture est limpide.

Petite, c'est la voix du père qui domine ses souvenirs. Il tonitue, il vitupère, il éructe comme s'il était au théâtre avec une voix de stentor : « Ne faites pas d'inconvenances ! Ne faites pas de souillonneries ! Ne faites pas de nègreries !  »Le père est un universitaire, spécialiste d'anatomie comparée à l'université de Turin. Il dicte sa loi sur toute la famille, refuse que ses cinq enfants aillent à l'école primaire pour éviter les maladies, porte des jugements tranchés moraux ou esthétiques avec des mots hauts en couleurs, mâtinés de dialecte et d'argot. le monde est rempli d'ânes et d'ânesses. La mère en apparence docile le suit à distance. Elle est d'un naturel joyeux et optimiste, aime les arts et les lettres, chante Lohengrin à tue-tête volontiers à la fin du dîner et lit Proust, cet empoté. Derrière leur apparente opposition, qui nourrira la personnalité ambivalente de Natalia Ginzburg, on sent beaucoup de complicité et de tendresse entre les époux. Les mots des domestiques et ceux des parents à leur égard dessinent aussi le portrait de la bourgeoisie turinoise encore traditionnelle. On voit aussi les différences de traitement entre les garçons et les filles.

Ensuite, ce sont les mots des frères et soeur. Ils s'affrontent pour des peccadilles ou des choses qu'elle ne comprend pas. Ils ont des secrets, font des messes-basses. L'Histoire fait son apparition à travers les discussions des frères qui veulent agir contre la dictature et le père, plus intellectuel et plus pessimiste, qui veut d'abord les protéger. Ce sont toujours des anecdotes significatives qu'elle raconte, des mots vrais que les historiens n'utilisent pas. La famille cache Turati (grande figure politique socialiste que le père tient pour un ingénu). La narratrice l'a déjà vu une fois mais elle fait l'obéissante et l'appelle Paolo Ferrati. Cependant elle ne comprend rien au mensonge des parents. A la fin du séjour Turati/Ferrati lui demande de ne raconter à personne qu'il a habité chez eux. Et il part avec deux hommes et son beau-frère Adriano Olivetti, qui désormais sera aussi en fuite. Ce moment marque la fin de l'innocence. Les frères Levi et leurs amis du mouvement “Giustizia e Libertà”(Salvatorelli, Foa, Ginzburg) sont des « conspirateurs » avec de hautes responsabilités dans la lutte anti-fasciste. La narratrice les montre uniquement sur le terrain privé par rapport à sa vie de famille et les récits qu'elle a entendus...

Après-guerre Natalia Ginzburg travaille comme éditrice et s'impose comme traductrice (Proust) dans la maison Enaudi naissante. Elle raconte bien le besoin de mots, de débats, de polémiques après la chape de plomb fasciste. Elle trouve les mots justes pour évoquer la solitude intérieure de Cesare Pavese. Et puis elle revient aux mots de sa tribu.

Le livre est plein d'amour et de finesse. Un vrai bonheur.
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