Citations sur Le corps humain (11)
Les formes d'attachement n'équivalent pas toutes à de la nostalgie.
Mais nous ne sommes pas des missionnaires, ne l'oubliez pas. Nous sommes des têtes brûlées. Nous aimons jouer avec les armes et, de préférence, les utiliser.
Une gélule par jour,chacune étant censée effacer une question à laquelle je n'avais su répondre: qu'est-ce qu'une famille , pourquoi une guerre éclate-t-elle? comment devient-on soldat?
Egitto,p.364
Egitto
Quelque chose en lui a vraiment changé depuis qu'on a quitté la zone sécurisée, et davantage depuis que le Génie a découvert le premier engin explosif: ici, dans le coeur de la vallée,dans cette arène,il n'y a plus de trace de pudeur ni d'indignation. Nombre des qualités qui distinguent l'homme des autres animaux ont disparu. Désormais,pense-t-il,lui-même n'existe plus en tant qu'être humain. Il s'est transformé en une entité abstraite,un agglomérat de pure alerte,de pure réaction et de patience.
Dépersonnaliser les hommes,les amis,voilà l'astuce, effacer leurs traits, le timbre de leur voix et même leur odeur jusqu'à ce qu'on soit capable de les considérer comme une simple unité. Peut-être devrait-il utiliser cette technique pour résoudre l'autre problème.
La nuit,ils partagent un grand lit dans une pension dépeuplée,et Ietri constate qu'il n'éprouve aucun embarras à dormir à côté de sa mère, même s'il est à présent un homme et qu'il n'est pas rentré chez lui depuis longtemps. Il ne trouve pas étrange non plus qu"elle lui attire la tête contre sa poitrine molle sous sa chemise de nuit,l'obligeant à écouter les battements robustes de son coeur jusqu'à ce qu'elle s'endorme.
Incipit (important)
Au cours des années qui suivirent la mission,ses participants s'ingénièrent à rendre leur vie méconnaissable au point d'entacher d'une lumière fausse, artificielle,les souvenirs de leur existence précédente et d'en arriver à croire que ces événements ne s'étaient pas réellement produits ou, du moins, ne les concernaient pas.
Il n'éprouve de chagrin ni pour le départ d'Irène ni — ce qui est beaucoup plus grave — pour la mort de ses hommes. Ce sont peut-être les cachets, à moins qu'il n'en soit plus capable. Si la seconde hypothèse le déconcerte, la première ne lui est pas d'un grand réconfort. Il expérimente ce qu'il savait déjà : la peine, la souffrance, la compassion qu'on ressent envers les êtres humains se réduisent à la biochimie — hormones et neurotransmetteurs inhibés ou relâchés. Cette prise de conscience suscite en lui une indignation inattendue.
Après l'explosion
L'herbe sèche est jonchée des morceaux carbonisés du Lynx. Ietri les regarde à travers sa vitre souillée de boue. Il pourrait la nettoyer avec son avant-bras pour mieux voir, mais une partie de son être sait que la saleté se trouve surtout à l'extérieur et que cela ne servirait à rien. En prêtant plus d'attention, il comprend que certains restes noirs sur le sol, les plus petits, ne sont pas mécaniques mais anatomiques. Par exemple un ranger auquel quelque chose est accroché, repose bien droit sur sa semelle. D'autres en revanche le laissent dubitatif. C'est donc ainsi que se détruit un corps humain, songe-t-il.
L'opportunité de passer la nuit dans l'ambulance, allongé, plutôt que recroquevillé sur le siège du conducteur, à l'intérieur du Lynx bondé, empêché par le volant ne serait-ce que de se tourner sur le côté, lui traverse l'esprit. Mais la place qu'il occupe revient à Camporesi, qui a conduit le véhicule toute la journée. C'est d'ailleurs lui qui lui a assigné ce rôle. L'en priver serait malotru. L'adjudant est prostré. Pour la première fois de sa carrière, son égoïsme engage une lutte violente contre sa droiture.