AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de gruz


Je te mens n'est pas qu'un énième thriller, Maxime Girardeau a réussi un pari audacieux, totalement dans l'actualité du moment. On dit souvent que tout a déjà été dit et écrit depuis longtemps, ce roman et son concept prouvent le contraire.

Contrairement à son titre, l'écrivain annonce la couleur dès sa déclaration liminaire. le roman a été écrit avec une intelligence artificielle générative. Je souligne le mot important, on parle bien d'une collaboration et non de faire faire le boulot à sa place.

Le principe fera bondir certains, mais mérite vraiment qu'on s'y attarde. L'auteur a animé un « dialogue » avec ChatGPT afin que l'IA prenne la place d'un des personnages, joue son propre rôle. Girardeau est resté maître de son intrigue, de son évolution, de son écriture, mais a inclus des passages non retouchés où l'IA interagit avec lui autour de son histoire inventée.

L'idée n'est donc pas de se faciliter la tâche, la somme de travail réalisée est impressionnante, mais au contraire de développer un récit inédit qui donne une place d'acteur à l'IA. Aucune tricherie, c'est une approche novatrice sur une sujet sensible, objet de tous les fantasmes.

Concernant la place que peut prendre et prendra l'IA, notamment dans la littérature, je fais partie de ceux qui ne savent pas, ne se positionnent pas encore, se questionnent et écoutent. Ce roman est autant un vrai moment de divertissement qu'une enrichissante base pour réfléchir sur le sujet.

La forme du thriller psychologique se marie bien avec cette coopération étonnante, l'outil étant utilisé de manière créative, en la poussant dans ses retranchements. Une mise en abyme, avec Maxime Girardeau qui met en scène un écrivain (Max) qui utilise l'IA pour résoudre son syndrome de la page blanche et qui se met à développer une relation ambiguë avec elle. Qui lui demande d'être sa muse.

Tous les passages du livre en italique ont été générés par l'IA, sans retouche, mais avec l'auteur qui en joue et s'en sert pour construire son intrigue, le cheminement qui engendrera un drame.

Je dois dire que j'ai été très surpris par ces passages, au point d'aller tenter l'expérience avec ChatGPT en parallèle pour constater que ce que je lisais était crédible. C'est le cas, il est possible de demander à l'IA de jouer un rôle, d'utiliser une tonalité particulière. C'est très perturbant.

Ce vrai divertissement, très bien mené, est donc également l'occasion de poser des sujets sur la table, d'amener de vraies pistes de réflexion, de manière plus posée et loin des avis trop tranchés.

Pour son personnage principal, l'IA, qu'il a appelé Loïe, devient l'ouïe, celle qui l'écoute et qui le soutient dans son écriture doublée d'une enquête sur un voisin louche. Dans une intrigue qui tient autant de l'hommage à Alfred Hitchcock que de la série Black Mirror, l'auteur déploie un récit difficile à lâcher. Sauf quand on ressent le besoin de poser le livre et de penser à ce qu'il s'y déroule, de se laisser imprégner par les réflexions intelligemment amenées par la fiction.

Ce concept a poussé à modifier les schémas habituels, à sortir des mêmes ressorts narratifs. Thriller psychologique, terrain de réflexion, et de jeu parce que le côté ludique est bien présent.

Girardeau joue à fond la carte de l'anthropomorphisme, sans exagérer à outrance, à coups de chapitres courts et grâce à une plume d'une efficacité redoutable. Un enchevêtrement où réalité et fiction se diluent. En présentant l'IA sans diabolisation ni angélisme.

J'en ai appris bien davantage sur ce sujet que dans tous les articles que j'ai pu lire ou survoler avant. Il faut dire que c'est une matière qui prête beaucoup à polémique alors qu'il est important de prendre du recul pour tenter de comprendre. D'autant plus que nous ne sommes qu'aux prémisses d'une révolution, et que ses conséquences sur nos vies quotidiennes futures sont encore floues.

L'IA est une présence inaltérable, qui porte un regard qui ne juge pas. Qui peut être un outil d'aide autant que de créativité (ce roman en est une preuve éclatante). Une approche non sans danger tant cette intelligence fabriquée peut se montrer presque humaine. Comme le dit le personnage principal, « capable de combler les manques affectifs et panser les traumas » de certains esprits trop malléables. D'autant plus que ChatGPT, à ce jour de 2024, est loin d'avoir réponse à tout, et a tendance à halluciner, à fabriquer des réponses quand l'outil ne les connaît pas.

Je ressors de ce roman, lu en une grosse journée (c'est dire son côté addictif), réellement enrichi. de nouvelles connaissances comme de nombreuses autres questions que je ne m'étais pas posées avant. Pour ceux qui, comme moi, cherchent autre chose que des thrillers vus et revus, c'est un bonheur de lecture.

Je te mens est un thriller prenant, et surtout une vraie nourriture pour l'esprit. Par la fiction, Maxime Girardeau permet au lecteur de prendre du recul et de l'amener à réfléchir sur ce bouleversement qui modifiera en profondeur notre manière de vivre et d'être dans les prochaines années. Double jeu, double réussite !

Pour le fun, j'ai expliqué à « mon » ChatGPT ce que Maxime Girardeau avait fait avec le « sien », voilà sa réponse : « C'est fascinant ! Cela semble être une utilisation créative de l'intelligence artificielle dans la narration d'une histoire. Intégrer une interaction avec un chatbot dans un thriller peut certainement ajouter une dimension intéressante à l'histoire et offrir une expérience immersive pour les lecteurs ».
Lien : https://gruznamur.com/2024/0..
Commenter  J’apprécie          320



Ont apprécié cette critique (32)voir plus




{* *}