Citations sur Quand souffle le vent du nord (338)
Oui, je suis encore debout. C’est-à-dire : je me suis relevé. J’avais activé mon alarme-Emmi. J’ai monté au maximum le son qui annonce un nouveau mail, et posé l’ordinateur à côté de mon oreiller. Tout à l’heure, cela m’a tiré du lit.
Pour nous, c’est différent, Emmi : nous partons de la ligne d’arrivée, et il n’y a qu’une direction possible : en arrière. Nous faisons route vers le désenchantement. Nous ne pouvons pas vivre ce que nous écrivons. Nous ne pouvons pas remplacer les nombreuses images que nous nous faisons l’un de l’autre. Je serai déçu si vous n’êtes pas à la hauteur de l’Emmi que je connais. Et vous ne serez pas à la hauteur ! Vous serez déprimée si je ne suis pas à la hauteur du Leo que vous connaissez. Et je ne serai pas à la hauteur ! Après notre premier (et dernier) rendez-vous, nous partirons consternés, apathiques, comme après un copieux repas qui ne nous a pas plu alors que nous l’attendions depuis un an, affamés, et que nous l’avions laissé mijoter pendant des mois. Et après ? Fini. Terminé. Mangé. Faire comme si rien ne s’était passé ? Emmi, nous aurons pour toujours à l’esprit le reflet démythifié, démasqué, dépouillé de toute poésie, décevant et abîmé de l’autre. Nous ne saurons plus quoi nous écrire. Nous ne saurons plus pourquoi nous écrire. Et un jour, plus tard, nous nous croiserons dans un café ou dans le métro. Nous essaierons de faire comme si nous ne nous connaissions pas, ou comme si nous ne nous étions pas vus, nous nous tournerons rapidement le dos. Nous serons embarrassés par ce qu’est devenu notre « nous », par ce qu’il en reste. Rien. Deux personnes étrangères l’une à l’autre, avec un simulacre de passé commun, par lequel ils se sont laissé tromper sans vergogne pendant si longtemps.
C’est triste Emmi, nous n’avons plus rien à nous dire.
Dix minutes plus tard
RE : Peut-être n’avons-nous jamais rien eu à nous dire.
Huit minutes plus tard
RÉP : Mais nous avons beaucoup parlé.
20 minutes plus tard
RE : Nous avons parlé comme des muets. Des mots vides.
Je n’arrive pas à dormir. Vous ai-je déjà parlé du vent du nord ? Je ne le supporte pas quand ma fenêtre est ouverte. J’aimerais bien que vous m’écriviez encore quelques mots. Juste « fermez la fenêtre alors ». Et je pourrai vous rétorquer : je n’arrive pas à dormir avec la fenêtre fermée.
Mia est capable, tel un médecin du sport, de décomposer un orgasme de cinq secondes en sept étapes qui demandent chacune une heure d’exposé, avec tableau de consommation de calories, etc. Voilà Mia ! Et savez-vous ce qui ne ressemble pas du tout à Mia ? « Ah, Emmi, pourquoi faut-il toujours que tu parles de sexe ! » : Ça, c’est zéro Mia, et 100 % Leo Leike.
J’aimerais tant vous embrasser. Je me moque de votre apparence. Je suis tombé amoureux de vos mots. Vous pouvez écrire ce que vous voulez. Vous pouvez être aussi sévère que vous le désirez. J’aime tout. D’ailleurs, vous n’êtes pas sévère du tout. Vous vous forcez, vous voulez avoir l’air plus forte que vous ne l’êtes.
Leo, il faut que je vous dise quelque chose : je crois que nous devrions arrêter. Je deviens accro à vous. Je ne peux pas passer mes journées à attendre un mail d’un homme qui me tourne le dos quand il me voit, qui ne veut pas me rencontrer, qui ne veut de moi que des mails, qui utilise mes mots pour se bricoler une femme de sa création, parce que les femmes qu’il rencontre en vrai doivent le faire souffrir atrocement. Je ne peux pas continuer comme cela. C’est frustrant. Comprenez-vous Leo ?
Pour vous, je suis comme du sexe par téléphone, mais sans sexe ni téléphone. Donc : du sexe par ordinateur, mais sans sexe ni images à télécharger. Et pour moi vous n’êtes qu’un petit jeu, un service de flirt rafraîchissant. Je peux faire ce qui me manque : vivre les débuts d’un rapprochement (sans avoir à me rapprocher). Nous sommes bien mignons, mais nous avons déjà fait les deuxième et troisième pas d’un rapprochement qui ne peut pas avoir lieu. Bientôt, nous allons devoir faire du surplace. Sinon, nous deviendrons un peu ridicules. Nous n’avons plus 15 ans, enfin, surtout vous, mais nous ne les avons plus, cela ne sert à rien.
Cher Leo, il y a quand même un problème : si vous me reconnaissez, vous saurez à quoi je ressemble. Si je vous reconnais, je saurai à quoi vous ressemblez. Mais vous ne voulez pas savoir à quoi je ressemble. Et j’ai peur que vous ne me plaisiez pas. Est-ce la fin de notre passionnante histoire ? Ou autrement dit : n’avons-nous soudain si envie de nous voir que pour n’avoir plus à nous écrire ? Si c’est cela, le prix de la curiosité serait trop élevé pour moi. Je préfère rester anonyme et recevoir jusqu’à la fin de mes jours des mails de l’ours du grésil. Bisous, Emmi.
Chère Emmi, avez-vous remarqué que nous ne savons absolument rien l’un de l’autre ? Nous créons des personnages virtuels, imaginaires, nous dessinons l’un de l’autre des portraits-robots illusoires.