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Critique de Choupaille


2454. L'humanité a trouvé un remède à la vieillesse. Désormais l'immortalité est la norme et la mort une erreur de parcours. Pour lutter contre la surpopulation tout en garantissant à chacun de ses cent vingt milliards de citoyens son droit à défier la nature, l'Europe contrôle sévèrement les naissances : à l'annonce d'une grossesse, un accélérateur de vieillissement est injecté à l'un des deux parents – c'est la loi du Choix. Jan est un Immortel : un soldat d'élite lancé à la trousse des contrevenants. le député Erich Schreyder lui offre une promotion fulgurante à la condition de débusquer et d'éliminer un terroriste aux idéologies rétrogrades ainsi que sa compagne illégalement enceinte. Sur place, la situation dérape. L'homme prend la fuite et Jan doit se débarrasser de la fille malmenée par son équipe. Mais rien n'est plus simple, désormais : Jan pressent qu'on l'utilise pour un dessein plus grand que lui, et s'attache contre toute attente à sa captive ...

Quand on furète sur le net à la recherche d'avis sur Futu.re, on constate deux choses. La première c'est que le livre n'a pas des masses de lecteurs (et c'est franchement dommage, notez bien) ; et la deuxième c'est que soit on accroche direct, soit on abandonne après cinquante pages en hurlant misogynie, haine des femmes et « brûlez l'auteur sur le bûcher ! » à pleins poumons. Vous vous en doutez, je fais partie de ceux qui sont allés au bout, et malgré le vif dégoût et la colère que le livre a souvent suscité chez moi, j'ai aucun regret. Parce que justement, tout la force de Futu.re, c'est les émotions violentes qui en ressortent et qui vous brûlent de l'intérieur – sur la question de la femme notamment, mais ça on y reviendra. Avertissement : la lecture de Futu.re n'est pas facile et mieux vaut être au top de sa forme mentale pour s'y plonger, ce qui je pense relègue définitivement ce livre à la catégorie adulte ++.

Explications.

Dans Futu .re, Dmitry Glukhovsky a fait le choix de refuser les étoiles aux Hommes. La conquête spatiale a échoué et l'humanité s'est résignée : s'il y a un avenir, il est sur Terre. L'Europe déborde littéralement de monde au point d'être devenue une gigapole monstrueuse de cent vingt milliards d'habitants immortels. Toute destination est à portée de main, on fait l'aller-retour Bruxelles-Bracelone en deux heures comme on si on sautait d'un pâté de maisons à un autre … et en un sens c'est vraiment le cas. Les citoyens chanceux sont parqués dans des appartements de deux mètres sur deux empilés dans des tours aux dimensions colossales surclassant les nuages. Pour les moins chanceux, c'est les favelas au pied des tours. le Monde est bondé, saturé et rappelle beaucoup celui d'Altered Carbon de Richard Morgan : trop de gens, trop de tours, trop d'artifices technologiques destinés à occuper l'humanité immortelle. Ici l'ambiance est étouffante et l'Europe écrasante : on vit à l'étroit et quand Jan dit se sentir oppressé, impossible de faire la sourde oreille et de pas partager le malaise. Futu.re, c'est un roman immersif qu'on vit avec son héro.

Mais une population qui ne craint pas la mort, ça consomme. Ça demande de la nourriture, de l'eau, de l'énergie, de l'espace. Quatre ressources limitées dont on est pratiquement arrivés à bout en 2454. Conséquence : la société européenne vit dans le contrôle… et notamment celui des naissances. Une vie pour une vie : avoir un enfant condamne l'un des parents, telle est la loi du Choix - inutile donc de préciser que ça se bouscule pas au portillon de la parentalité, vous aurez compris. Dans un monde où mourir est anormal, vieillir est une grave et malaisante erreur de parcours. Avoir un enfant, pour quoi faire ? Fort de la certitude d'être toujours là d'ici cent ans, on préfère profiter de son temps infini pour faire la fête, baiser dans tous les coins, vivre dans l'insouciance avec le peu de mou que laisse gracieusement le gouvernement - mais à qui ça importe ? Tout ce que les tours ne peuvent apporter, on l'avale en dizaines de cachetons réparateurs : tablettes de bonheur, de destin, de sérénité et hop ! en une dose les soucis s'envolent ! Ca, c'est le rêve européen : le droit à l'immortalité pour tous ... et le retour à la mortalité pour les marginaux qui décident de procréer. Et cette fois on n'a même pas l'excuse de se dire que ça se passe ailleurs pour se dédouaner : l'Europe, c'est la maison, et j'ai beau la trouver hideuse entre les mains de Dmitry Glukhovsky, j'aime ce qu'il en a fait et les nombreuses thématiques qu'il traite tout autour - dont notamment celle des réfugiés rassemblés dans le cloaque barcelonais.

C'est moins étonnant qu'il n'y paraît quand on y réfléchit et que Glukhovsky est là pour éclairer le chemin devant nous, mais là-dedans à peu près tout le monde se satisfait de son sort. Rien de difficile : imaginez pouvoir tout remettre constamment à demain, pouvoir vous y mettre “plus tard” pour être celui que vous voulez être - parce que l'immortalité assure les arrières. Alors on profite de l'instant présent sans rien construire pour demain, parce qu'il y aura toujours un demain (la procrastination ultime). Rien n'est toutefois perdu : certains idéalistes s'insurgent dans l'ombre. S'ils ne prônent pas nécessairement un retour à la mortalité, ils exigent au moins le droit de concevoir sans avoir à en crever - littéralement - et c'est après le leader populaire Jesus Rocamora qu'un député blasé lance Jan. Jan, c'est pas un tendre - vraiment, vraiment pas. C'est un enfoiré, un gars intraitable et violent qu'on a formaté sur mesure pour les opérations ingrates : débusquer les contrevenants, tirer un nourrisson illégal des bras de sa mère, injecter la dame au passage et y aller franco sur les noms d'oiseaux (quand on ne lui demande pas un petit extra : éliminer un adversaire politique, par exemple). Dans Futu.re une grossesse tue, c'est un crime, et en bon fonctionnaire de l'etat Jan y va avec zèle pour mater les hors-la-loi - souvent des mères, souvent des femmes. Et c'est pas des scènes jolies-jolies à voir, donc laissez-moi vous déconseiller ce roman si vous êtes du genre fleur bleue.

Mais attention, attention, derrière le salaud de classe internationale, Jan c'est aussi un gamin que le système a brisé et haché menu. Sa haine viscérale des femmes et des enfants, elle vient de sa propre condition (ne tarde pas trop à découvrir : bon point) et de sa rancoeur personnelle envers sa génitrice - un genre d'amour-haine hyper bordeline exceptionnellement bien rendu. le personnage est très convaincant, il est réaliste et merde quoi, il en impose ! Alors oui, Jan n'y va pas de main morte avec la gente féminine. Il y a des mots, des intentions et des actes difficilement pardonnables et certains (majoritairement certaines), en ont jeté le livre au feu après cent pages : parce que viol, parce que violence, parce que gros vilain auteur semble glorifier la haine des femmes. Un peu de recul, pardi ! Réduire un roman et un auteur à leur héro (et dans ce cas-ci, à leur anti-héro) sans même dépasser le troisième chapitre alors que tous les voyants d'une évolution grandiose clignotent vert fluo, c'est absurde. D'abord parce qu'il ne faut pas oublier le contexte de Futu.re (on est quand même dans une société dystopique extrême qui annonce clairement la couleur : les enfants, personne de sain n'en veut plus et les mères clandestines sont traquées comme des criminelles envers l'humanité) et ensuite parce que Jan a le bagage parfait pour expliquer la souffrance qu'il inflige à autrui …. du moins jusqu'à sa rencontre avec la douce Annelie. Annelie, c'est le second personnage clé de Futu.re, la petite touche de douceur dans un monde de brutes épaisses (et croyez-moi, sur le moment on prend tout ce qu'il y a de bon à prendre !). Elle est le point de départ de la métamorphose difficile et spectaculaire de Jan : un véritable sevrage dont on témoigne des suées pendant les huit cents pages qui suivent la grosse intro. Passée celle-ci Glukhovsky retourne sa veste : s'il a introduit un enfoiré c'est pour mieux le tabasser d'expériences de vie nouvelles et lui remettre la tête bien en place. Ça prend du temps, c'est pas parfait, mais au passage on a droit nous aussi à plusieurs leçons de vie. Partir d'un connard politiquement correct et travaillé pour ne heurter personne n'aurait pas eu le même effet sur moi que Jan ; la leçon aurait été tronquée et le livre carrément plat. Bref Futu.re bascule lentement du bon côté de la balance, et rester sur le seuil sous prétexte qu'on n'aime pas ce qu'on voit dans le vestibule, c'est passer à côté de la casa du siècle - promis, celle-là elle fait pas deux mètres sur deux : on est sur quelque chose de beaucoup plus ambitieux.

Maintenant que je vous ai vendu le roman, que je l'ai défendu, je peux vous toucher sans culpabiliser deux-trois mots au sujet de ce qui m'a chiffonné : c'est sombre. La vache que c'est sombre ! La lumineuse Annelie et une certaine famille Hindou mises à part, y a pas des masses d'échappatoires positives dans Futu.re. Il y a de l'humour bien noir et des vannes en aparté qui tombent juste (merci la narration à la première personne rondement menée), mais ça reste pas joyeux-joyeux. Autant être honnête : ce livre je l'aurais dévoré si je n'avais pas senti qu'il me faudrait une semaine pour m'en remettre après ... à moins d'enchaîner sur du loufoque, mais ça j'ai plus en stock. Donc j'y suis allée pépère et si le voyage n'a pas été de tout repos, il a été hyper enrichissant : de quoi me décider à miser sur la dystopie bien plus souvent. J'ai quelques titres en tête (notamment Les furtifs de Damasio auquel il faut toujours que je me colle), mais si vous avez des recommandations, ça intéresse Choupaille ! Pour le reste je regrette également quelques transitions pas évidentes à cerner entre l'enfance de Jan et son existence présente, mais rien de très méchant. Avec tout ce bla-bla vous êtes avertis : moi je vous recommande Futu.re, mais surtout si vous avez le coeur solide.
Lien : https://la-choupaille-lit.bl..
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