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Critique de clairemarquez75


L'enfance comme un dragon de papier qui se déploie peu à peu, cachant ses plis et ses secrets, ses découvertes à débusquer. L'imaginaire qui, peu à peu, reflue face aux vérités qui se montrent.

"Le froid saisit le garçon à la descente du train. Détoure son corps osseux, les saillances enfouies sous ses vêtements trop larges, l'arête du nez, les phalanges au bout des mitaines. Il se fige sur le quai, sa valise à la main, enveloppé de son soufle. Il perçoit exactement ses contours, la mince frontière qui le sépare du dehors à la jonction de la peau tiède et de la gangue d'air glacial. La sensation est si aiguë qu'il se figure sa silhouette dissociée du décor, pareille aux personnages découpés d'un théâtre d'ombres. Mais déjà ses formes se dissolvent. La neige lui monte aux chevilles, s'agrippe en gros flocons à son bonnet, son pantalon et son manteau de laine, s'amoncelle sur sa valise, ses chaussures, s'applique à l'absorber comme elle gomme toute chose. de la petite gare, des arbres, des bancs, on ne devine que des volumes polis, remodelés par la neige. le brouillard fond les alentours dans une matière opaque dont émergent de rares lignes noires: rails, fines faces des troncs contraires au sens du vent, bords de toit. Un sque- lette de paysage. Même la soeur à ses côtés s'estompe, ses joues pâles, sa robe et son voile beige affadis par la neige ; seules ressortent, comme en suspens, ses montures de lunettes et sa canne."

Un enfant arraché aux griffes du Paris de 1943, projeté par une mère aux abois, un jeune adolescent de douze ans, Vadim Pavlevitch, glisse vers le coeur des Alpes. Son asthme jusqu'alors étau, devient passage. Et Vadim devient Vincent. Alors il n'est pas assez d'heures pour que s'écoule la magie d'un territoire inexploré. Il n'est pas assez de minutes pour conter les couleurs que l'on entend à chaque nouveau mot. Il n'est pas assez de secondes pour découvrir ces alvéoles de vie intense qui crépite dans les yeux de Moinette, sa jeune confidente.

"Ici la lumière coule sur une vallée entière, allume un à un les hameaux selon leur altitude, les plis de la montagne, leur position par rapport à l'axe des cols, de plus en plus généreuse, de plus en plus dorée, et les éteint en ordre dispersé suivant les fantaisies du relief. Si bien que de l'aube à la nuit la montagne palpite."

Vincent gomme Vadim, sa nouvelle identité en carapace, et les découvertes innocentes prennent leur temps, et nous redonnent un nouveau souffle, à nous, le lecteur adulte blasé par les images et le savoir. Un temps qui s'égrène au rythme des levers et couchers de soleil, kaléidoscope d'un éphéméride unique. Un kaléidoscope dans lequel des paillettes sombres prennent le lecteur par surprise ; Paris n'a pas disparu. La guerre et les Allemands sont bien là, dans les images de son esprit. Mais se retourner pour les voir serait fatal, se retourner vers Vadim le changerait en statue. Alors il regarde devant lui.

Un roman à la poésie rare, au texte ciselé, chaque ligne chante pour la montagne, cette île haute, et ses bêtes qui s'y accrochent, humains, vaches ou chèvres. Une montagne qui cache et qui garde au creux de son poing de roche. Un roman qui m'a bouleversée, et que j'ai lu en entendant la douce voix de Valentine Goby me lire son texte, de la même voix généreuse qu'elle nous offrit les ingrédients de sa construction au cours d'une séance de partage avec des lecteurs que je n'oublierai pas.
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