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Critique de Seraphita


Hiver 1956. le froid s'abat sur la France. François, un jeune homme de 22 ans, part dans les Ardennes pour un travail. Et puis sa vie bascule lors d'une tempête de neige qui bloque sa progression : cherchant refuge près d'un wagon, une électrocution le fauche. Il va être amputé des deux bras et se heurter aux manques auxquels le handicap le confronte. le voilà à présent infirme, mutilé, diminué à ses yeux et dans le regard des autres. Il va devoir apprendre à se construire autrement, à composer avec le manque, à retrouver sa dignité. Long chemin de résilience qui ne lui rapportera certes pas sa vie d'avant, mais des projets et, in fine, de l'espoir.

« Murène » est un roman écrit par Valentine Goby. C'est une oeuvre juste, poignante et bouleversante qui porte en elle de multiples thématiques, la plus centrale étant celle du handicap dans ses résonances physiques et psychiques.

L'intrigue happe dès le début grâce à l'écriture ciselée de l'auteure. On plonge d'emblée dans le monde de François, adoptant son point de vue narratif, le monde d'avant – qui n'est qu'une parenthèse – écrit en contrepoint du monde d'après. Et c'est le jour de Bayle qui en constitue la frontière, étanche, imperméable. Au fil des longs mois d'hospitalisation, en ces années 1950 où la médecine a certes fait des progrès mais n'en est qu'à ses débuts pour ce qui concerne les amputations, la rééducation et l'appareillage, on tremble aux côtés de François ; on assiste – impuissant – à sa douleur, ses déchirures, le désespoir sans fond qui s'ouvre à lui ; et puis se font des conquêtes à la faveur de sa créativité, de sa combativité et d'un entourage porteur.

Le propos est d'une grande justesse, d'un réalisme poignant, tant au niveau physiologique que psychologique. L'auteure s'est remarquablement documentée, en témoignent ses remerciements à la fin. « Murène » est une oeuvre vaste, longue (près de 400 pages), qui part de l'intime d'une situation pour ouvrir vers le dernier tiers sur l'évolution de la représentation du handicap en France, avec notamment l'essor du handisport. L'intention est louable mais l'auteure ouvre, à mon sens, trop de pistes, l'intrigue devenant ce faisant un peu trop ambitieuse, le côté documentaire prenant le pas sur la fiction et, surtout, sur l'intime d'un vécu. En effet, les qualités d'écriture de Valentine Goby sont très manifestes pour dire la souffrance de François : allers-retours entre les temps de la narration, longues phrases sans ponctuation, que l'on retrouve chez Maylis de Kerangal par exemple, descriptions et métaphores sublimes, ouvrant un souffle poétique en creux des noirceurs. Elles perdent un peu de leur éclat lorsque le côté documentaire prend le pas.

En bref, « Murène » est un roman bouleversant, juste de réalisme, plein d'un regard poignant sur l'autre dans son altérité radicale qui, pour autant, nous rejoint. En somme une rare humanité couchée en mots sur le papier dans l'espace-temps d'un livre.
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