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Critique de nilebeh


Réédition d'un récit-essai déjà publié en 2004, enrichi d'une introduction (ou préface?)et d'un dialogue avec Maurice Godelier, anthropologue.

Les conditions de l'enquête : mission en Mauritanie sur les Rgaybat : « L'enquêteur se trouve pris au coeur d'une bataille dont il devient-à travers son propre projet d'écriture- l'un des atouts ou des handicaps potentiels. Ce qu'on va lui dire et ne pas lui dire, ce qu'on va lui laisser voir et ce qu'on va lui cacher, l'instrumentalisation dont il pourra être ultérieurement l'objet ou même l'otage relèvent alors de rivalités ou de conflits qu'il lui faut déchiffrer : l'enjeu de l'écriture dépasse-et de loin- les objectifs de la science. »(p.14)

Critique des études en ethnologie : à peine un trimestre effectué, elle part pour un long voyage de Bagdad à la Tunisie, puis lit intensivement et cela suffit à lui faire obtenir sa licence. (pas d'exigence d'assiduité à cette époque?)

Elle – même a été « manipulée » par un chargé de cours mauritanien à Nanterre, en fait un soutien actif du front Polisario qui ne voyait que du bien à ce qu'une étudiante française écrive sur les peuples nomades du Sahara espagnol, en lutte pour leur indépendance.
L'une des conséquences de ce fait est que, d'une part, les autochtones l'ont systématiquement aiguillée vers des familles de militants du Polisario en guise de famille d'accueil pour ses recherches, d'autre part qu'elle a fait l'objet de toutes sortes de suspicions sur place.

Sa directrice de mémoire de maîtrise l'ayant aiguillée vers le même peuple, elle n'a pas hésité et a travaillé sur le thème.
Lors de sa soutenance, un membre du jury lui a reproché vertement de ne pas avoir respecté les exigences de l'anthropologie, à savoir étudier selon la synchronie et non selon la diachronie, ce qui, selon lui, rendait la première partie de son mémoire hors sujet, plus un travail d'historienne que d'ethnologue.
Querelles d'écoles à l'université (structuralisme de Levi-Strauss ≠ marxisme), manque total d'information sur la discipline (on y arrivait un peu par hasard, dans le cadre d'UV connexes d'une licence littéraire), divergences d'idées entre les spécialistes eux-mêmes sur la méthodologie à adopter quand-enfin-l'étudiant part sur le terrain : tout décrire et restituer (Théorie de Mauss) : collecte de textes, de plantes, d'images etc... ou bien s'orienter sur un thème précis (approche pragmatique de Malinowski)

Les motivations des chercheurs après 1968 et dans les années 70 et leur évolution :
Régler un sentiment de culpabilité post-colonial, découvrir l'Autre, s'enfuir.

Anthropologie, l'étude de l'Autre comme moi-même/autre ou comme Autre/moi-même, n'entraîne plus forcément les chercheurs sous des latitudes lointaines mais en tournent certains vers l'altérité de proximité : les camps Roms, le quart-monde, les îlots d'habitation le long du périphérique ou dans le bois de Vincennes, par exemple.

Elle s'interroge sur la place du chercheur sur le terrain : mandaté, autorisé officiellement à la fois par les autorités françaises et celles du pays où il travaille, soi-disant non rémunéré et non rémunérateur sur place, les habitants du pays s'interrogent sur ses motivations. Dire qu'on va rédiger un livre ou rendre un rapport flatte mais aussi laisse un peu sceptiques les interlocuteurs. le seul objectif scientifique tel qu'annoncé est peu convaincant : si ce n'est pour l'argent (elle parle surtout des étudiants en doctorat dont le seul bénéfice sera la mention lors de la soutenance de thèse), alors, c'est pour le sexe ? (interprétation désolante mais certainement éprouvée lors des tout premiers voyages).
le chercheur se retrouve à son arrivée dans la même situation qu'un nouveau-né : il ne parle pas (la langue), ne sait pas où dormir, ne sait pas comment se nourrir. Cette remise à zéro des connaissances minimales nécessaires à la vie le rend disponible, ouvert, générant une « faille », une « béance dans (son) système de référence. » le premier voyage aura ainsi valeur d'initiation lors même que le chercheur , conscient de ce qu'il « gagne » dans l'expérience, ignore à peu près tout de ce qu'il « donne ». Incertitude ressentie par tout observateur attentif des cultures dites « en voie de développement ».
L'auteure met en évidence les premiers signes qui influent sur le chercheur en « mission » (mot redoutable par les connotations qu'il recèle), signes éminemment physiques : le corps joue un rôle prépondérant dans la découverte du milieu. Elle révèle ce qu'aucun ethnologue n'aborde qu'en privé, les maux liés à la digestion, le mal-être, la fatigue, les insectes , la rusticité des lieux. « L'outil premier de cet apprentissage est son propre corps ».
Elle revient plus tard sur ces manifestations physiques de désordres et refus psychiques, la maladie en étant l'un des symptômes essentiels. Elle aura à plusieurs reprises la tentation du rapatriement sanitaire après des mois de lutte pour « s'immerger » dans la culture étudiée.
Elle s'interroge sur la place du chercheur, « étranger » à tous égards, qui doit se faire accepter, qui doit convaincre de son désintéressement et du bien – fondé de sa présence.



Le choix de l' »informateur » est prépondérant et...à risques. C'est au coup de chance ou à l'intuition que cela fonctionne. En effet le risque est double : se limiter à un seul informateur risque de réduire les chances de connaissance du milieu, se « tromper » dans son choix peut aboutir à une interdiction de facto de changer d'interlocuteur, chaque groupe ayant l'idée qu'il s'agira in fine d'une trahison. le choix étant fait, l'ethnologue finit par faire partie de la famille choisie,en quelque sorte « adopté » par elle, ce qui limite sa neutralité, « l'initiation l'aura conduit paradoxalement à se couper de toute possibilité d'objectivité ».
L'auteur insiste sur la nécessaire distanciation par rapport à « l'objet » d'étude, distanciation perturbée par les émotions et les affects, l'important étant de se situer à une juste place entre le deux. C'est ainsi qu'elle révèle avoir évité toute aventure sentimentale avec un membre de l'ethnie étudiée.

De la méthode : L'observation participante et l'observation systématique : dans un cas, s'intégrer à la vie quotidienne, participer aux actes communs et les décrire, dans l'autre partir d'une démarche d'initiative personnelle pour lister, recueillir, décrire. Par exemple, en passant dune tente à une autre et poser les mêmes questions sur les mêmes sujets.
Difficulté à être à la fois dehors et dedans. Question méthodologique de la « prise de position » : l'auteure fera les l'expérience de cette difficulté en se trouvant à la charnière de deux éléments familiaux, entre deux « frères » désunis par des rapports de force et des conflits hiérarchiques.


Il s'agit d'enquêter pour étudier et en faire son gagne-pain ≠ étudier pour aider et payer de sa personne des humanitaires
La dimension humaine, empathie, émotion partagée , expérience de vie, me semblent, arrivée à la page 37 totalement absentes. Voir l'analyse des PUF ci-dessous.

Sur la première édition  (PUF):
Cet essai est né d'un agacement, toujours plus vif, ressenti par une anthropologue française qui se veut " ordinaire " devant la vanité des procès intentés à la discipline, et devant les réactions inutilement défensives de certains chercheurs. Quand le " postmodernisme " - américain ou non - " déconstruit " l'anthropologie, ou que telle historienne française crie à " la mort du phénix ", ce qui apparaît dans le creux des discours est une représentation des sciences humaines fondée sur un leurre. Plutôt que de répondre sur le terrain du leurre, Sophie Caratini propose une approche épistémologique qui dévoile la faille, et l'assume. Elle s'attache en effet à montrer que c'est justement cette faille qui est nécessaire pour qu'advienne quelque chose de l'ordre de la connaissance dans le domaine des sciences humaines. Tout texte anthropologique relève d'une expérience vécue de l'altérité, faite d'une rencontre entre sujets appartenant à des cultures différentes. Mais le point de vue " scientifique " qui légitime le statut du chercheur de " terrain " n'est pas tant lié à son regard prétendument " distancié ". Il résulte en réalité d'une négociation perpétuelle et d'une lutte intérieure - perpétuellement incertaine - entre l'ouverture et la fermeture de l'esprit.

Critique du livre :

Réédition d'un récit-essai déjà publié en 2004, enrichi d'un dialogue avec Maurice Godelier, anthropologue spécialiste de la Nouvelle- Guinée.

Sophie Caratini rédige ici un essai appuyé sur son expérience personnelle sur le terrain de sa recherche, le peuple nomade Rgaybi en Mauritanie.
Dans son entretien avec M Godelier, elle explique ce livre par son désir de montrer que la part de subjectivité intervenant dans la recherche ethnologique est une source d'enrichissement et non un frein. Ne pas se limiter aux contraintes posées par les différentes « écoles » de la discipline, l'analyse réflexive et le récit autobiographique se mêlent pour aboutir à une information précieuse pour étudiants en anthropologie innocents des pièges du « terrain » mais qui résonnera dans la mémoire de tous chercheurs en sciences humaines habitués aux missions sur place. L'évocation du savant blanc, seul en milieu hostile, va être ici un peu réactualisée et surtout analysée.

L'essai s'organise autour de thèmes nettement définis, dans une approche réflexive illustrée la plupart du temps par des expériences personnelles et enrichies de références bibliographiques.

Sont ainsi abordés les motivations de l'ethnologue débutant (appel de l'exotisme, culpabilité post-coloniale ? désir de fuite ? Dans l'après – 68, plusieurs raisons se chevauchent) , ses choix (pourquoi telle tribu plutôt que telle autre ?) La part reste belle parfois au hasard des rencontres et des opportunités.
Elle s'attarde sur les réactions physiques que l'apprenti-chercheur peut éprouver lors de son séjour et fait part de ses propres expériences, ce qu'aucun « africaniste » ne se complaît en général à raconter...
Elle revient plus tard sur ces manifestations physiques de désordres et refus psychiques, la maladie en étant l'un des symptômes essentiels. Elle aura à plusieurs reprises la tentation du rapatriement sanitaire après des mois de lutte pour « s'immerger » dans la culture étudiée.
Elle s'interroge sur la place du chercheur, « étranger » à tous égards, qui doit se faire accepter, qui doit convaincre de son désintéressement et du bien – fondé de sa présence, usant parfois de la séduction, cette arme à double-tranchant.

Le choix de l' »informateur »sur place est prépondérant et...à risques. C'est au coup de chance ou à l'intuition que cela fonctionne. En effet le risque est double : se limiter à un seul informateur risque de réduire les chances de connaissance du milieu, se « tromper » dans son choix peut aboutir à une interdiction de facto de changer d'interlocuteur, chaque groupe ayant l'idée qu'il s'agira in fine d'une trahison. le choix étant fait, l'ethnologue finit par faire partie de la famille choisie,en quelque sorte « adopté » et « initié » par elle, ce qui limite sa neutralité, « l'initiation l'aura conduit paradoxalement à se couper de toute possibilité d'objectivité ».
L'auteur insiste sur la nécessaire distanciation par rapport à « l'objet » d'étude, distanciation perturbée par les émotions et les affects, l'important étant de se situer à une juste place entre les deux. C'est ainsi qu'elle confie avoir évité toute aventure sentimentale avec un membre de l'ethnie étudiée.

L'auteure aborde les questions de méthode : l'observation participante et l'observation systématique. Dans un cas, s'intégrer à la vie quotidienne, participer aux actes communs et les décrire, dans l'autre partir d'une démarche volontariste pour lister, recueillir, décrire. Par exemple, en passant d'une tente à une autre et poser aux habitants les mêmes questions sur les mêmes sujets.
Difficulté à être à la fois dehors et dedans. Question méthodologique de la « prise de position » : l'auteure fera l' l'expérience de cette difficulté en se trouvant à la charnière de deux groupes familiaux, entre deux « frères » désunis par des rapports de force et des conflits hiérarchiques.


Elle porte un regard critique sur l'enseignement qui – au moins à son époque - ne proposait l'approche de l'ethnologie que comme formation connexe aux études littéraires, sur l'Université où elle s'est visiblement ennuyée au point de partir en voyage à travers le monde arabe en lieu et place des heures de cours avec profit visiblement. Elle dénonce aussi la manipulation dont elle a fait l'objet, ayant été envoyée de façon délibérée par son tuteur mauritanien dans un milieu en effervescence politique, celui de rebelles membres actifs du Front Polisario luttant pour l'indépendance du Sahara espagnol.
La place de l'ethnologue sur le terrain risquera d'être ainsi déviée de son objectif scientifique et l'auteure suspectée d'intentions politiques voire d'espionnage. L'aspect politique est non négligeable dans toute mission en Afrique où il est nécessaire de s'entourer de toutes les précautions avant de partir et une fois sur le terrain.

Le dialogue avec Maurice Godelier clôt le récit-essai par une confrontation de points de vue et d'expériences sur la rencontre avec cet « Autre » qu'on est désireux de comprendre en sachant qu'il porte lui aussi un regard critique sur ce que nous sommes. A noter aussi les remarques un peu aigres sur la « carrière », les relations, parfois conflictuelles, avec les collègues et les difficultés, en général, des sciences humaines.

Livre utile à tous les débutants en sciences humaines de terrain, pas seulement aux ethnologues. Mais ce n'est pas pour autant ce qu'on appelle un livre « grand public » dans la mesure où il fait appel à des connaissances assez pointues et à une approche réflexive organisée et argumentée intéressante mais pas forcément abordable à tous lecteurs.




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