Anthropologue de réputation mondiale, médaillé d'or du CNRS, lauréat du prix international Alexander von Humboldt en sciences sociales et du prix de l'Académie française, Maurice Godelier est l'auteur, entre autres classiques, de "La Production des Grands Hommes", des "Métamorphoses de la parenté", et de l'ouvrage "Au fondement des sociétés humaines".
Au cours de cette rencontre, Maurice Godelier nous parle de son nouvel ouvrage, "Quand l'Occident s'empare du monde". Mettant à profit une vie de recherches sur le fonctionnement des sociétés, il propose une relecture de la naissance et de l'essor du monde moderne, et un bilan sans concession sur le rôle et la place de l'Occident. Il nous dit également quelques mots des Baruyas, tribu de Papouasie-Nouvelle Guinée au sein de laquelle il a vécu pendant 7 ans en cumulé entre 1966 et 1988, et dont il a suivi des rituels d'initiation.
Pour retrouver son livre, c'est ici : https://www.librairiedialogues.fr/livre/21978412-quand-l-occident-s-empare-du-monde-xve-xxie--maurice-godelier--cnrs-editions
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“chez les Indiens d’Amérique du Nord pour expliquer pourquoi il y a des taches sur la Lune. C’est une histoire d’inceste. Une jeune femme reçoit chaque nuit un homme avec qui elle fait l’amour. À un moment, elle veut savoir qui il est. Pendant leur union, elle lui met de la peinture sur le corps sans qu’il le sache. Le lendemain, elle découvre que son amant, c’est son frère. Devant l’horreur de l’inceste, celui-ci s’échappe et devient les taches sur la Lune.”
Dans quelques rares sociétés d'Amazonie ou de Nouvelle-Guinée, pour éviter que le mort ne souffre d'être enseveli sous la terre, livré aux vers et aux êtres malfaisants, le mort est incinéré et ses cendres mélangées à une pâte faite de banane écrasée. Le mort est alors ingéré par les membres de sa parenté, qui lui offrent leurs corps comme sépulture. C'est un acte sacré, accompli à l'abri des regards.
(Science et vie HS)
s'il y a quelque rationalité du développement social de l'humanité, le sujet de cette rationalité n'est pas l'individu isolé et affublé d'une nature humaine et d'une psychologie éternelles, mais les hommes, dans tous les aspects conscients et inconscients de leurs rapports sociaux (p. 291).
Pourquoi cet intérêt pour les "ultima verba" ? Parce que pour Suétone, mais cela est valable pratiquement pour tous les auteurs antiques, « la mort est comme le reflet de la vie, ou du moins comme sa sanction, belles morts pour les belles vies, laides morts pour les laides vies ». Les derniers mots et les derniers moments résument celui qui meurt, peuvent racheter une vie mal conduite et la sauver de l'opprobre, ou au contraire l'y enfermer. Ils forgent donc l'image que le mort laissera aux générations futures, une image qui importe au plus haut point pour le Romain.
Le fait que le bouddhisme ait progressivement mais profondément imprégné la culture chinoise au cours de près de deux millénaires n'a pu que laisser des traces au sein des représentations de l'élite comme dans les pratiques populaires. Il existe théoriquement une contradiction entre l'ancienne conception chinoise où le devenir des esprits des morts est avant tout gouverné par la rectitude rituelle (qui permet une survie en tant qu'ancêtre) et la conception bouddhiste où le salut de l'âme individuelle est gouverné par ses actes ici-bas, selon le principe de la rétribution. Dans la perspective propre au bouddhisme, le mort ne peut espérer une réincarnation favorable que s'il satisfait à l'examen moral de ses actions, de son karma passé.
[...]
À ne considérer que les dogmes, il existe théoriquement une incompatibilité entre une telle religion de salut et une religion largement fondée sur l'interaction continue des vivants et des morts. Pourtant, les rituels peuvent parfaitement les associer[.]
Or, cette amputation, ce sacrifice sont à la fois mutilation et promotion de l’homme à être coresponsable (avec la nature) de sa propre existence. L’homme n’est pas seulement un être qui vit en société, comme les autres primates, et s’y adapte, mais un être, je l’ai dit, qui doit produire de la société pour continuer à vivre. La société apparaît donc comme édifiée sur la base non pas d’un meurtre mais de la négation consciente de quelque chose qui appartient à l’homme et se trouve en lui, et qu’il est le caractère asocial de son désir. Cette négation, cette amputation sont tout à la fois des actes conscients et inconscients qui refoulent, répriment et subordonnent.
Nous avons vu que les enfants savent bien que leur ours en peluche ne fait pas pipi, mais ils font semblant d'y croire. Ils savent dans ce cas que l'impossible n'est pas possible. Cependant à partir de quatre ans ils commencent également à croire que l'impossible est parfois possible. Toute une série d'expériences a en effet démontré que les enfants vers quatre ans ont compris plusieurs des contraintes qui existent dans le monde qui les entoure à savoir:
- qu'on ne peut pas créer de la matière à partir de rien;
- que les objets inanimés ne bougent pas ne changent pas d'eux-mêmes leur forme ou leur identité, de même qu'ils ne cessent pas d'exister ou ne peuvent disparaître par eux-même;
- que des processus complexes tels que grandir et vieillir sont irréversibles.
Les enfants ont donc déjà une expérience concrète de plusieurs aspects du monde des objets inanimés qui les entoure: leur non-autocréation, leur non-autonomie, leur inertie, leur permanence, la stabilité de leur forme et de leur identité. Et c'est seulement lorsqu'ils sont confrontés effectivement ou en imagination à des violations de ces contraintes déjà évidentes pour eux qu'ils vont s'ouvrir à des explications relevant de la magie et de causes surnaturelles que les adultes leur proposeront*.
Les deux attitudes - que l'impossibilité ne sois pas possible et que l'impossible soit parfois possible ne s'excluent pas alors dans la tête d'un enfant. Elles renvoient à des contextes différents. Un enfant en effet et capable d'imaginer ce qui pourrait se passer si telle ou telle contrainte dont il a fait l'expérience était violée. Les montagnes se mettaient à marcher, on pourrait les fendre en deux d'un coup de poing, etc. Les héros des contes de fée ou des jeux vidéo le font régulièrement parce qu'ils sont dotés de pouvoirs que n'ont pas les humains. D'un coup de baguette magique, la mauvaise fée peut faire surgir un monstre qui barre la route du héros, etc. Tous ces événements sont "contre-intuitifs", c'est-à-dire se déroulent dans un monde imaginaire qui ressemble à et en même temps diffère de celui dont l'enfant a commencé à avoir l'expérience et la connaissance. Or ce ne sont pas les enfants qui inventent les contes de fée ou les mangas. Ce sont des adultes qui les ont imaginés et fait exister. Et ce sont les adultes qui disent aux enfants lorsqu'ils continuent à croire au Père Noël qu'ils sont maintenant "trop grands" pour continuer à y croire. Ce sont les mêmes adultes qui, dans une famille chrétienne, vont dire chaque soir à leurs enfants: "N'oubliez pas de faire votre prière avant de vous coucher". Qu'est-ce qui légitime le fait que l'on doit d'un côté cesser de croire à ce qu'on nous a fait croire et de l'autre qu'on ne doit pas le faire? Si on peut le faire d'un côté, pourquoi ne pourrait-on pas le faire de l'autre, c'est-à-dire mettre en doute une croyance religieuse et même la détacher entièrement de soi comme ont le fait de la croyance au Père Noël, juste bonne pour les enfants? Qu'est-ce donc que croire?
* The work of the Imagination, chap. 8, "Beyond Possibility", p. 161-185.
En se "matérialisant" dans les rapports sociaux, l'imaginaire devient une part de la réalité sociale.
Il y a plus dans l'être social de l'homme que l'addition de ses besoins ou de telle et telle nécessités sociales. Ceci tout simplement parce que les hommes ne se contentent pas de vivre en société et de la reproduire comme les autres animaux sociaux, mais doivent produire de la société pour vivre.
Il faut plus qu’une évolution de la pensée en elle-même et sur elle-même pour que des rapports sociaux cessent d’apparaître comme légitime, et que, dans ce processus, la pensée en vienne à s’opposer à elle-même.