J’ai souvent repensé à ce matin-là, et chaque fois calculé que les dix ou douze minutes que j’ai dû mettre, en pédalant de toutes mes forces, pour atteindre la Villa Chagrin auraient dû largement donner à l’aube le temps de naître. Mais à l’époque, j’ai eu l’impression que la pénombre m’avait accompagné d’un bout à l’autre du chemin, comme une fidèle couverture nuageuse. Elle était encore là quand je suis descendu de mon vélo et l’ai caché entre deux dunes, puis quand j’ai rampé dans le sable sous les fils barbelés entre les panneaux d’interdiction d’entrer. C’était comme si le temps, la lumière et le son avaient conspiré et décidé de rester suspendus afin que je subisse de plein fouet l’impact de ce que je voyais.
Mieux vaut avoir perdu l'objet de son amour que n'avoir pas aimé.
Tout le monde ne devient pas adulte. Il faut d'abord survivre à son enfance, puis y grandir, ce qui est une tâche difficile.
Maman aimantait les cartes à la porte du réfrigérateur, nuages d’orage planant au-dessus des vagues, lumière orangée qui éclairait la houle, ruine lugubre d’une vieille maison de bord de mer. Elles avaient des titres, «La tempête s’approche», «Tranquillité du crépuscule», «Villa abandonnée».
Un pied devant l'autre. Rappelle toi, chaque fois que l'eau s'avance, tu te rapproches de ton but.
Est ce un mirage ce minuscule camion blanc qui cahote au loin? Non, c'est lui qui roule vers le sud . Son salut d'homme à la peau tannée. T'es pas arrivé mon pote. Les vagues viennent se briser au plus près. L'honneur est sauf.
Qu'est-ce qui est désolant ? ai-je demandé.
- Que nous ne remarquions pas à quel point les autres sont remarquables quand ils sont encore là. Puis, lorsqu'ils disparaissent, on souhaite le leur avoir dit, mais de leur vivant, on ne le savait pas encore.
J'ai compris qu'en dessous de tous mes moi que les autres connaissent il existe quelqu'un que personne d'autre ne peut jamais pleinement connaître. Aucun d'entre nous ne peut partager avec un autre son être entier, quel que soit l'amour qui existe entre eux.
Nous en savons si peu sur ceux dont nous sommes les plus proches. Et si peu sur nous-même.
Ma première femme disait souvent que la seule chose dans la vie sur laquelle on pouvait absolument compter, c'est le changement. Et parfois, les changements ont du bon.
Elle a dit que c'était peut-être égoïste de sa part de m'avoir mis au monde alors qu'elle avait si peu à offrir, néanmoins elle m'avait plus désiré que quoi que ce soit d'autre. Elle a dit que j'étais sa plus grande récompense.