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Critique de Bdotaku


Deux ans après leur succès avec « le voyage de Marcel Grob » (120 000 exemplaires vendus), le duo Collin - Goethals récidive et nous propose « la patrie des frères Werner ». On franchit le Rhin et ce deuxième opus commence là où le premier s'arrêtait : à la fin de la seconde guerre mondiale. La couverture de ce nouvel album reprend la maquette du premier : même typographie, avec le titre placé en bandeau sur le tiers inférieur. Même reprise d'une légende avec une date de la couleur du titre : au « JUIN 1944, un jeune français de 17 ans est enrôlé dans la Waffen SS » fait écho le « JUIN 1974 : orphelins de guerre, deux espions communistes se retrouvent pour el match de l'Est contre l'Ouest » et même attitude enfin de Marcel et d'Andreas tous deux de trois quarts. Il me semble qu'il y a donc une volonté affichée de la part des auteurs non pas de surfer sur une recette éprouvée mais de construire ces oeuvres en miroir voire en diptyque : après avoir montré une jeunesse prise en otage par la machine nazie, les auteurs vont raconter comment le communisme a également façonné une jeunesse perdue.

Dans « le voyage », la période contemporaine était en couleurs et les souvenirs au lavis. Ici toute la bande dessinée est au lavis et chaque séquence est réalisée dans différentes palettes toutes en bichromie oscillant entre l'ocre rouge ou rosé, le sépia, le jaune, le gris vert et le gris bleuté. Sébastien Goethals est assisté pour ce faire par Horne Perreard et c'est très réussi. La mise en page est classique et oscille entre 6 et 9 cases donc reste plutôt aérée même si l'on ne compte qu'une pleine page. On y retrouve les gouttières et il n'y a pas d'incrustations mais des cases bien délimitées. Contrairement à l'ouvrage précédent, il n'y a pas d'analepses mais un récit linéaire et chacune des séquences est souvent datée de surcroît ce qui favorise grandement la lisibilité.

La narration est donc très fluide. C'est nécessaire pour une histoire aussi complexe. On a à la fois un récit historique, une histoire familiale, une tranche d'histoire du sport et un récit d'espionnage. « le voyage de Marcel Grob » était basé sur des faits réels (la biographie du grand-oncle du scénariste), ici on a un mélange : le match de foot et les joueurs sont bien sûr authentiques mais les frères Werner sont inventés. le récit évite le didactisme tout en étant prenant puisqu'il est effectué à hauteur d'homme et mélange la grande Histoire à des destins individuels. Collin est chroniqueur de « l'oeil du tigre » et il parvient à rendre palpitant un match de foot (sport que je déteste !) grâce à un exposé très clair de tous les enjeux géopolitiques.
On a la chronique d'un double destin. Et la mise à mal des liens du sang par idéologie. Ainsi la relation des frères Werner est comme une métaphore de la destinée des deux Allemagnes. Les dialogues sonnent justes et de nombreuses pages muettes sont elles aussi très efficaces (la découverte émerveillée par Andreas de sa chambre d'hôtel fort commune qu'il juge très luxueuse est évocatrice du dénuement qui règne en RDA).


Le graphisme est élégant, la mise en page aussi bien que très classique. Goethals a gagné en fluidité : ses personnages sont moins figés. Les cadrages pour le match de foot sont innovants. J'ai beaucoup aimé le surdécoupage et le ralenti de l'action au moment du but fatidique de la RDA. En revanche je trouve que les personnages féminins sont très souvent ratés : Steffi Herzog ou la prostituée de Hambourg sont « hommasses ». La directrice de l'hôtel ne se ressemble plus d'une case à l'autre. Les traits de Konrad et Andreas adultes sont aussi fluctuants ce qui peut parfois nuire à la lisibilité. Les personnages d'après nature (les joueurs), les héros enfantins et les regards sont eux réussis et expressifs.

Collin a réussi à donner toute la complexité des relations fraternelles et c'est le point fort de cet album. Les caractères sont bien typés avec l'aîné réfléchi et avide de reconnaissance (qui se trouve un père de substitution avec Gronau et surinvestit la mère patrie) tandis que le cadet, plus chien fou, met en doute « au nom du père », la doctrine de la RDA (qui occulte sa judéité et ne reconnaît pas le massacre de ses parents). J'ai beaucoup aimé l'utilisation de l'épisode historique des « enfants-loups » pour créer le lien indissociable entre les deux frères. Leur relation est au coeur de l'histoire et crée des enjeux dramatiques et des conflits de loyauté. Il n'y a pas de manichéisme même dans l'histoire amoureuse qui va lier Steffi et Andreas. L'épilogue de 1992 lie encore une fois superbement la destinée des héros et des soeurs ennemies que sont RFA et RDA en montrant le match de la réconciliation. La boucle est bouclée : tous les thèmes historique, intime et sportif sont à nouveau liés dans un scénario maîtrisé. Un bel album !
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