Citations sur Le divan (10)
CINQ AUTRES CHOSES
Qu’est-ce qui m’abrège le temps ?
L’activité !
Qu’est-ce qui l’allonge insupportablement ?
L’oisiveté !
Qu’est-ce qui te plonge dans les dettes ?
Attendre et patienter !
Qu’est-ce qui engendre le gain ?
Ne pas délibérer longtemps !
Qu’est-ce qui procure l’honneur ?
Se défendre !
CONFESSION
Quelle chose est difficile à cacher ? Le feu !
Car le jour il se trahit par la fumée,
La nuit par la flamme, le monstre.
Difficile à cacher est aussi
L’amour : si secrètement qu’on le nourrisse,
Il jaillit pourtant aisément des yeux.
Mais ce qu’il y a de plus difficile à cacher c’est un poème,
On ne le met pas sous le boisseau.
Si le poète vient de le chanter,
Il en est tout pénétré ;
S’il l’a élégamment calligraphié,
Il veut que le monde entier l’aime.
Il le lit à chacun, joyeux et à voix haute,
Peu lui chaut qu’il tourmente ou édifie.
BIENHEUREUX DÉSIR
Ne le dites à personne, sinon au sage,
Car la foule est prompte à railler :
Je veux louer le Vivant
Qui aspire à la mort dans la flamme.
Dans la fraîcheur des nuits d’amour
Où tu reçus la vie, où tu la donnas,
Tе saisit un sentiment étrange
Quand luit le flambeau silencieux.
Tu ne restes plus enfermé
Dans l’ombre ténébreuse
Et un désir nouveau t’entraîne
Vers un plus haut hyménée.
Nulle distance ne te rebute,
Tu accours en volant, fasciné,
Et enfin, amant de la lumière,
Tе voilà, ô papillon, consumé.
Et tant que tu n’as pas compris
Ce : Meurs et deviens !
Tu n’es qu’un hôte obscur
Sur la terre ténébreuse.
MYSTERE MANIFESTE (extrait du "Livre de Hafiz")
Ils t’ont, saint Hafiz,
Nommé la langue mystique
Et ces experts de la Parole
N’ont rien compris à ta parole.
Ils te nomment mystique
Parce qu’ils croient lire en toi leurs sottises
Et distribuent en son nom
Leur vin impur.
Mais toi, tu es mystiquement pur
Parce qu’ils ne te comprennent pas,
Toi qui, sans être dévot, fus bienheureux !
C’est ce qu’ils refusent de t’accorder.
VŒU AUDACIEUX
Qu’est-ce qui fait qu’en tout lieu,
Chacun se sente heureux
Et que chacun prête l’oreille
Quand les mots s’ordonnent en harmonie ?
Arrière, ce qui gêne ta course !
Pas de tristesse ni de deuil !
Avant d’ouvrir son chant, avant de le cesser,
Il faut que le poète vive.
Et qu’ainsi la corde d’airain de la vie
Fasse vibrer ton âme !
Si le poète sent son cœur angoissé,
Il trouvera de lui-même l’apaisement.
Doux est le regard de la jeune fille …
Doux est le regard de la jeune fille qui te fait signe,
Doux le regard du buveur au moment où il va boire,
Et le salut du seigneur qui pourrait commander,
Et le rayon du soleil d’automne qui nous réchauffe.
Mais plus doux que tout cela garde
Toujours présent à tes yeux, comment, vers un modeste don,
S’allonge si gentiment une main indigente,
Recevant avec une gracieuse reconnaissance ce que tu lui tends.
Quel regard ! Quel salut ! Quel désir éloquent !
Regarde-le bien, et tu donneras toujours.
Tout pauvre …
Tout pauvre à qui tu donnes toi-même,
Tu l’aimeras comme toi-même.
Donne joyeusement ton obole,
N’amasse pas de trésor à léguer ;
Hâte-toi joyeusement de préférer
La présence à la mémoire.
Les années, dis-tu …
« Les années, dis-tu, t’ont enlevé tant de choses,
La jouissance du jeu des sens,
Le souvenir du délicieux badinage
De la veille, les pérégrinations lointaines
N’ont plus de charme, non plus
Que l’ornement naguère si apprécié, la louange venue d’en haut,
Autrefois si douce. La satisfaction de ta propre action
Ne jaillit plus pour toi ; l’aventureuse audace te manque
Je ne sais vraiment pas ce qui peut bien te rester encore ?»
Il me reste assez ! Il me reste l’idée et l’amour.
SOULEIKA
(parle)
Le miroir me dit : je suis belle !
Vous dites que vieillir est aussi mon sort.
Devant Dieu tout doit subsister éternellement,
Aimez-le en moi pour cet instant.