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Critique de Christw


Après ce brillant Goffette, je n'aurai pas le toupet de retracer à mon tour, et de manière habituellement si prosaïque, les grandes lignes de la vie de Wystan Auden. "Auden ou l'oeil de la baleine", dans lequel la part d'imagination et d'invention de Guy Goffette est une composante essentielle, dresse un portrait frappant du poète britannique : "son visage de dinosaure blanc illumine toute la salle de ce sourire vulnérable que la bonté transfigure".

Auden voit sa vie intérieure marquée par une rupture, qui se produit en 1940 où il abandonne le marxisme et retrouve la foi anglicane. Et donc deux parties dans une oeuvre dont il reniera et modifiera certains textes des débuts. Jean Ristat ("L'humanité") a cette formule sommaire : "L'Auden anglais est marxiste et freudien, l'Auden américain est religieux et fataliste".

Goffette articule la charnière sur deux moments : la vision de "La chute d'Icare" (Brueghel) au musée des Beaux-Arts de Bruxelles et une nuit d'été, bien avant (1933), où assis sur l'herbe en cercle avec des collègues, Auden est envahi par un sentiment : "... il les regarde tous, et il est chacun d'eux et tous le valent. [...]. ce transport en un instant d'un bout à l'autre de soi-même, qui renverse le ciel et nous met peu à peu à l'unisson de tout être et de toute chose avec le sentiment de donner enfin cohérence et perfection à ce qu'on dit, à ce qu'on fait [...]". L'Auden d'amour et de pardon peut avancer vers son destin. Pas nécessairement radieux, mais il ira jusqu'à écrire, envers et contre tout : "Je suis heureux de pouvoir être malheureux".

Le tableau de Brueghel lui révèle que notre indifférence à l'égard de la souffrance est toujours un crime plus grand que notre ignorance. Il en fit le soir même le poème "Musée des Beaux-Arts" (1940) : "Et le coûteux, le délicat navire qui avait dû voir / Quelque chose de stupéfiant, un garçon précipité du ciel, / Avait quelque part où aller et poursuivait tranquillement sa course". Goffette lui-même tint ce texte pour seul viatique durant une sombre période de sa vie.

Parenthèse toute personnelle : la page 181 me semble délicate où l'écrivain belge écrit que la souffrance brûle tout, l'inutile, tout ce qui détourne de la condition de mortel. La souffrance a quelque vertu, sans doute, mais personne ne choisira de l'appeler pour glaner dans ses cendres l'or promis dans ces lignes. À moins de parler sainteté et c'est affaire de théologie. Barre vite redressée à l'évocation de Joseph Brodsky : il appelait Auden "le stoïque qui prie". Qui prie et qui subit.

Dans ses accoutrements miséreux, car il était pauvre à la fin de sa vie, en détresse, Auden fit à Hannah Arendt une malheureuse demande en mariage. Il avait tant besoin d'amour, Wystan, lui qui écrivait "Je suis aimé, donc je suis".

La veille de sa mort, il donne une lecture à Vienne à la Société autrichienne de littérature puis échappe à ses admirateurs et amis pour rentrer précipitamment à l'hôtel : "Il ne lui reste plus qu'à serrer très fort la nuit entre ses bras", s'émeut Goffette puis ajoute un vers écrit quelques mois plus tôt : "Et moi, soumis, me trouvant indésirable, je m'en suis allé". Car Wystan Hugh Auden n'était plus prisé à Oxford : "Le monde nouveau n'a que faire des vieilles outres".

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