J'ai suggéré plus haut qu'il peut exister un écart entre les identités virtuelle et réelle d'un individu. Cet écart, s'il est connu ou visible, compromet l'identité sociale : il a pour effet de couper l'individu de la société et de lui-même, en sorte qu'il reste là, personne discréditée face à un monde qui la rejette.
Il va de soi que, par définition, nous pensons qu'une personne ayant un stigmate n'est pas tout à fait humaine. Partant de ce postulat, nous pratiquons toutes sortes de discriminations, par lesquelles nous réduisons efficacement, même si c'est souvent inconsciemment, les chances de cette personne. Afin d'expliquer son infériorité et de justifier qu'elle représente un danger, nous bâtissons une théorie, une idéologie du stigmate, qui sert aussi parfois à rationaliser une animosité fondée sur d'autres différences, de classe, par exemple.
L'information la plus pertinente pour l'étude du stigmate possède certaines propriétés. C'est une information à propos d'un individu. Elle touche à ce qui la caractérise de façon plus ou moins durable, par opposition aux humeurs, aux sentiments ou aux intentions qu'il peut avoir à un moment donné. De même que le signe par lequel elle se transmet, elle est réflexive et incarnée, c'est-à-dire émise par la personne même qu'elle concerne et diffusée au moyen d'une expression corporelle que perçoivent directement les personnes présentes. L'information qui possède toutes ces propriétés, je la nomme "sociale". Parmi les signes qui la transmettent, certains sont fréquents et stables, toujours recherchés et habituellement reçus ; ont peut les appeler des "symboles".
D'une façon générale, cette tendance du stigmate à se répandre explique en partie pourquoi l'on préfère le plus souvent éviter d'avoir des relations trop étroites avec les individus stigmatisés, ou les supprimer lorsqu'elles existent déjà.
Le mot de stigmate servira donc à désigner un attribut qui un discrédit profond, mais il faut bien voir qu'en réalité c'est en termes de relations et non d'attributs qu'il convient de parler.
Nous connaissons bien des tours ingénieux pour déguiser ou réduire nos blocages.
Le faux-semblant et la couverture sont au nombre de ces procédés, applications particulières de l'art de manipuler les impressions, cet art, fondamental pour la vie sociale, grâce auquel l'individu exerce un contrôle stratégique sur les images de lui-même et de ses productions que les autres glanent à son entour.
Le normal et le stigmatisé ne sont pas des personnes mais des points de vue.
Le sujet du stigmate, autrement dit, sur la situation de l'individu que quelque chose disqualifie et empêche d'être pleinement accepté par la société.
[...] on demande à l'individu stigmatisé de nier le poids de son fardeau et de ne jamais laisser croire qu'à le porter il ait pu devenir différent de nous ; en même temps, on exige qu'il se tienne à une distance telle que nous puissions entretenir sans peine l'image que nous nous faisons de lui. En d'autres termes, on lui conseille de s'accepter et de nous accepter, en remerciement naturel d'une tolérance première que nous ne lui avons jamais tout à fait accordée. Ainsi, une ACCEPTATION FANTÔME est à la base d'une NORMALITÉ FANTÔME.