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Alain Kihm (Traducteur)
EAN : 9782707300799
180 pages
Editions de Minuit (01/11/1975)
4.23/5   62 notes
Résumé :
Il y a le stigmate d'infamie, tel la fleur de lys gravée au fer rouge sur l'épaule des galériens. Il y a les stigmates sacrés qui frappent les mystiques. Il y a les stigmates que laissent la maladie ou l'accident. Il y a les stigmates de l'alcoolisme et ceux qu'inflige l'emploi des drogues . Il y a la peau du Noir, l'étoile du juif, les façons de l'homosexuel. Il y a enfin le dossier de police du militant et, plus généralement, ce que l'on sait de quelqu'un qui a fa... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Gilles Deleuze affirme qu'un livre réussi a une épaisseur, qu'il est constitué de plusieurs niveaux et qu'il convient d'en franchir successivement les paliers. C'est incontestablement le cas de « Stigmate ». La démarche Erving Goffman dans son ouvrage est ethnographique et l'observation, directe ou documentée, est résolument empirique. Il décrit méticuleusement et dans sa totalité la vie quotidienne des « stigmatisés » ; il cherche à comprendre la cohérence et à mettre à jour les rituels des interactions fragiles et faussées avec les « normaux ». La communication est le thème constant des travaux du sociologue. le fait social en effet n'est pas pour lui un donné mais un processus qui se construit dans des situations concrètes. C'est, dans la dynamique des échanges et à travers le sens que donnent les individus à leur action, que l'auteur saisit ici l'essence du jeu social.


Le stigmate est pour Goffman un attribut, physique ou psychique, perceptible ou non, qui perturbe et le plus souvent discrédite une relation mixte entre le « normal » et celui qui ne l'est pas. L'individu stigmatisé doit découvrir son infamie, apprendre et intégrer le point de vue des normaux, acquérir les images que la société lui propose ainsi qu'une idée générale de ce que cela implique. La rencontre, toujours pour le discrédité (individu avec stigmate perceptible et plus ou moins importun suivant sa nature et les structures où il s'exprime) est insécure et incertaine. Il ignore en effet ce que pense vraiment l'autre et il doit faire preuve d'une attention redoublée. Ce qui caractérise l'homme stigmatisé, c'est l'acceptation de son sort et de sa place. Il peut certes avoir une tendance à la victimisation avec prises minuscules d'intérêts mais le plus souvent il a la volonté de se corriger pour changer de statut.Les évènements prennent immanquablement pour lui des tournures inattendues, ainsi l'échec est attribué au handicap tandis que la réussite ordinaire est considérée comme un authentique exploit. La répressible intrusion dans la vie est aussi monnaie courante chez le stigmatisé, il est une personne que n'importe qui peut aborder et toucher à condition de compatir à ceux de son espèce. Il est toujours possible pour le discrédité d'éviter la relation ou de la limiter au groupe des individus qui partagent le même stigmate mais cette attitude n'est pas sans conséquences. Alors, la stratégie pour échapper au trouble de l'échange est couramment de se faire le plus discret possible, d'être tolérant ou tout au contraire agressif, mais le résultat est immanquablement le même : la désintégration de la relation ordinaire. le discréditable (individu avec stigmate non immédiatement perceptible) quant à lui doit savoir en toutes circonstances manipuler l'information concernant sa déficience. Il doit se poser la question des limitations : dire ou ne pas dire, feindre ou ne pas feindre, révéler beaucoup ou peu, mentir ou ne pas mentir, et de quelle manière, dans quel univers et avec qui ? Dans le cas intermédiaire où le stigmate saute aux yeux et où il est invisible, il y a nous dit Erving Goffman la possibilité – pour le discréditable – d'utiliser les nombreuses techniques de contrôle de l'information (dissimulation, désidentification, dévoilement complet, couverture du stigmate) et – pour tout le monde – toujours la possibilité de faire semblant. Il faut noter là aussi que tout ce contrôle de l'information portant sur l'identité du discréditable a un effet délétère sur la relation et des conséquences psychologiques sur le stigmatisé. Les tentatives des « normaux », nous dit enfin Erving Goffman, de traiter la personne anathématisée comme une personne sans stigmate, n'est guère plus probante, elle conduit ordinairement à le mieux sinon à le moins ou ne le plus considérer du tout. Par conséquent et en guise de conclusion provisoire, toujours le contact mixte, comme on le voit, génère le malaise.


Cette première lecture de « Stigmate » comporte le risque d'aboutir à une analyse purement situationnelle et descriptive du jeu social. le social, ça n'est pourtant pas la présence d'individus normaux ou stigmatisés, le social c'est la présence de la société – présence de celle-ci en les individus et entre eux. L'une des conditions nécessaire de la vie sociale est le partage par tous les intéressés, stigmatisés et normaux, de normes de l'identité de l'être maintenues et soutenues parce qu'elles sont incorporées. Et leur application est une affaire de conditions non de volonté, de conformité et non de soumission. Il y a stigmate, si une catégorie soutient une certaine norme et qu'un individu ne se l'applique pas ou est en échec pour se l'appliquer. La nature d'un individu, que nous lui imputons et qu'il s'attribue, est engendrée par la nature de ses affiliations. Ce qu'il est, ou pourrait être, dérive de la place qu'occupe sa catégorie au sein de la structure sociale. Aussi, le caractère que l'individu stigmatisé se voit autorisé est engendré par ses relations avec son groupe agrégat de ses compagnons d'infortune. Mais il est également déterminé par le point de vue des normaux et donc par celui de la société en général. Il est conseillé à l'individu stigmatisé de se considérer comme un être humain à part entière, de n'avoir ni honte de lui ni de ses semblables, de ne pas se dissimuler, de ne pas se morfondre ; il doit assumer sa différence, secourir les normaux en acceptant aides et plaisanteries mais il ne doit pas profiter de sa chance, faire preuve de savoir-vivre et rester à sa place. Il lui est conseillé de s'accepter et de nous accepter en remerciement naturel d'une tolérance première que nous ne lui avons jamais accordé. L'utilité pour les normaux de cette demande sociale, c'est que l'injustice et la souffrance que représente le poids d'un stigmate ne leur apparaisse jamais, qu'ils n'aient jamais à s'avouer combien sont limités leur tact et leur tolérance, qu'ils puissent demeurer relativement à l'écart de tout contact contrariant avec les stigmatisés et relativement en sécurité dans leur image d'eux-mêmes.


Erving Goffman affirme dans cet ouvrage : « L'ironie dans toutes ces recommandations [celles des individus pareillement situés] n'est pas que l'individu stigmatisé se voit prié de s'efforcer patiemment d'être pour les autres ce que ceux-ci refusent qu'il soit pour eux, mais qu'il se pourrait bien qu'une telle absence de réciprocité représente ce qu'il peut avoir de mieux pour son argent. Car, si son voeu est de vivre autant que possible « comme tout le monde » et d'être accepté « pour ce qu'il est vraiment », l'attitude la plus clairvoyante est précisément celle-là, avec son double fond : c'est en faisant très souvent en faisant spontanément comme si l'acceptation conditionnelle, dont il prend bien garde de ne pas présumer, que lui accordent les normaux était pleine et entière, qu'il parvient à accroitre au maximum le degré de leur tolérance à son égard. Et il va de soit bonne pour l'individu peut être encore meilleure pour la société». Cette affirmation du célèbre sociologue, qui est démentie par la plus élémentaire réalité (voir par exemple la lutte d'Act Up dans les années 1990) et qui est contestable du point de vue du raisonnement (sophisme de composition de la dernière phrase), est tout à fait symptomatique de l'incorrigible conservatisme de la sociologie américaine en général et de l'école de Chicago en particulier. Cet indécrottable conformisme qui point désagréablement à plusieurs reprises (échanges amoureux, domination sociale, etc.), très heureusement, n'ôte rien au formidable intérêt de ce livre.
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J'ai une affection toute particulière pour ma discipline de coeur, la sociologie, et c'est toujours vers elle que je me tourne en premier quand je cherche un nouvel essai à lire. Aujourd'hui, j'ai envie de vous présenter cet essai archi-connu des chercheurs et sociologues : Stigmate, d'Erving Goffman, grand sociologue américain de la « déviance », avec son pote Howard S. Becker. Il s'agit d'un ouvrage que j'ai lu durant ma 24ème année (12 ans déjà !) et qui m'avait tant marquée que j'en avais fait une fiche de lecture.

Erving Goffman est un sociologue qui m'a toujours intriguée par sa vie atypique. Il joue au poker et dans les casinos, s'intéresse à la bourse, milite pour des valeurs dites de gauche avec un comportement de vie considéré purement de droite, part en observation participante dans les asiles tandis que sa femme déprime et finit par se suicider, demande un salaire de ministre à une époque (non révolue) où les profs de socio ne touchent que trois fois rien. Il est l'un des emblèmes de la seconde École de Chicago par sa sociologie centrée sur les interactions. Là où ses confrères analysent le jeu des acteurs pris individuellement, Goffman regarde lui comment les interactions entre les uns et les autres engendrent des faits sociaux. Ses écrits sont très précis et pas nécessairement hyper vulgarisés, mais sa pensée est d'une grande intelligence et ses démonstrations fines.

Comme son titre l'indique, Stigmate traite des relations entre les personnes stigmatisées – ou qui pourraient l'être – et les « normaux » (ceux qui représentent la norme). Je ne vais pas ici reprendre l'ensemble des concepts de l'ouvrage, mais retracer simplement ce que livre permet d'appréhender. NB : l'auteur utilise « nous » ou « on » pour parler des « normaux », je vais donc faire de même.

Un stigmate, selon Goffman, est la situation de l'individu que quelque chose disqualifie et empêche d'être pleinement accepté par la société. Ces stigmates peuvent être de multiples natures (physiques, moraux, ethniques,) et transforment leur propriétaire en être discréditable ou discrédité. Vous êtes discréditable si votre stigmate n'est pas immédiatement visible par les normaux (vous êtes homosexuel, au chômage, ancien tôlard…), et vous êtes discrédité quand votre stigmate est immédiatement visible (vous êtes noir, vous êtes sourd…) ou connu des normaux. Mais, comme l'annonce l'auteur dans ses notions préliminaires, et comme il répète dans sa conclusion, ce n'est pas l'attribut spécifique de la personne stigmatisée qui créé le stigmate, mais bien la relation avec les normaux, ce qu'il appelle les « contacts mixtes »:

« Pour conclure, je me permets de répéter que la notion de stigmate implique moins l'existence d'un ensemble d'individus concrets séparables en deux colonnes, les stigmatisés et les normaux, que l'action d'un processus social omniprésent qui amène chacun à tenir les deux rôles, au moins sous certains rapports et dans certaines phases de la vie. le normal et le stigmatisé ne sont pas des personnes mais des points de vue ».



En effet, et vous le savez tout autant que moi, les relations normaux – stigmatisés répondent à certains codes dont vous connaissez parfaitement les règles sans vous les être clairement formulées. En voici les principales, et je suis certaine que vous reconnaitrez des situations vécues en chacune d'elles. Comme nous sommes en France, nous allons prendre le cas d'une catégorie bien stigmatisée: une femme maghrébine de confession musulmane postulant à un poste de CODIR afin que vous puissiez saisir la démonstration.

Les personnes stigmatisées n'ont pas toujours conscience de leur stigmate, surtout si elles évoluent avec d'autres personnes stigmatisées. C'est toujours le contact mixte qui fait prendre conscience du stigmate.
Une personne affligée d'un stigmate a généralement des doutes sur la façon dont nous, les « normaux », allons l'identifier et l'accueillir. de plus, au cours de ces contacts mixtes, la personne porteuse d'un stigmate a tendance à se sentir en représentation, obligée de surveiller et de contrôler l'impression qu'elle produit avec une intensité et une étendue qui, suppose-t-elle, ne s'impose pas aux autres.
Un individu stigmatisé peut chercher à améliorer indirectement sa condition en consacrant en privé beaucoup d'efforts à maitriser certains domaines d'activités que d'ordinaire on estime fermés aux personnes affligées par sa « déficience » (C'est le cas de notre femme de l'exemple qui bosserait trois fois plus que les normaux pour justifier qu'elle mérite le poste).
Mais un individu stigmatisé s'en sert également en vue de petits profits, pour justifier des échecs rencontrés pour d'autres raisons (dans ce cas-là, cette même femme dirait que si elle n'a pas eu le poste, c'est à cause de ses stigmates).
Enfin, ce même individu peut aussi percevoir dans les épreuves qu'il a subies une bénédiction déguisée (dans ce cas, cette même femme pourrait dire « je n'ai pas eu le poste et heureusement, je n'ai pas envie de contribuer à ce système injuste etc.).
Dans le cas où l'individu est discréditable mais pas encore discrédité, celui-ci a généralement peur du moment où l'information de son stigmate remontera à la surface. Goffman fait alors remarquer qu'il existe une façon quasi-officielle de présenter son stigmate, une véritable « étiquette de la divulgation » : L'individu affligé du stigmate admet son imperfection d'un ton détaché qui suppose que les interlocuteurs sont bien au-dessus de ces questions, tout en les empêchant de s'enferrer en montrant qu'ils ne le sont pas.

Du côté des « normaux », les comportements sont aussi bien intéressants.

On agit généralement de façon à faire en sorte que l'individu stigmatisé s'accepte joyeusement et spontanément comme identique pour l'essentiel aux normaux, tout en lui demandant de savoir se tenir à l'écart des situations où l'on risquerait de voir la tolérance qu'on lui manifeste d'ordinaire nous rester en travers de la gorge. Par exemple, un groupe d'amis hétérosexuels qui voit régulièrement une personne homosexuelle en faisant mine de l'accepter pleinement et sans remarquer le stigmate, mais qui lui demande de ne pas donner son avis lorsque l'on parle de parentalité car « elle n'y connait rien ». Goffman nous invite à nous interroger sur ce comportement qui en dit long finalement sur les limites de notre tact et de notre tolérance, et qui permet également de rester relativement en sécurité dans nos images de nous-mêmes.
Par ailleurs, les personnes « normales » peuvent trouver moult bénéfices sociaux à fréquenter des personnes stigmatisées, et ceci souvent de façon inconsciente : sentiment d'ouverture, de fraternité, d'équité, condescendance cachée etc. Sans compter bien sûr un réel intérêt pour la personne en tant que telle.
Je ne vais pas ici retracer les parties dédiées au militantisme des personnes stigmatisées, bien que cela soit passionnant, simplement parce que je préfère m'en tenir à l'idée fondatrice d'Erving Goffman, à savoir que lorsqu'une personne est stigmatisée, c'est à cause de la relation qu'elle entretient avec les normaux, et non à cause d'un attribut quelconque.

J'adore cet essai parce qu'on y retrouve la vie de tous les jours. Lorsque quelqu'un m'annonce un attribut discréditable à son sujet, je remarque qu'il utilise l'étiquette de divulgation et que j'en suis complice.

Mais surtout, j'adore cet essai parce qu'à l'époque de sa parution, c'était dingue d'écrire cela. Stigmate parait en 1963 aux USA, année où les actes racistes explosent et où Martin Luther King prononce son célèbre « I have a dream ». Un intellectuel blanc, sous caution de travaux de recherche, démontrait pour la première fois que les personnes stigmatisées ne l'étaient pas en raison d'un attribut dévalorisant, mais bien en raison de « contacts mixtes » avec des « normaux » à la tolérance malgré eux limitée… Aujourd'hui, ça paraît évident – et tant mieux – mais l'on doit beaucoup à ce type qui, entre deux coups de poker, s'est penché sur la question pour en faire un ouvrage de référence de la sociologie mondiale.



Jo la Frite
Lien : http://coincescheznous.unblo..
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Je continues sur ma lancée des ouvrages et essais sociologiques sur la "déviance", le "stigmate", la "différence" ; ainsi, sans grand surprise je me suis attaquée à Stigmate, l'une des grandes oeuvres de Goffman.

Je ne savais pas trop à quoi m'attendre, du moins de quel point de vue allait partir Goffman pour son analyse. En fait, il emprunte tour à tour le point de vue des "normaux" comme il le dit, et des "stigmatisés". Toutefois, contrairement à d'autres auteurs comme Becker, il dépeint le "stigmatisé" comme une personne forte, parfois manipulatrice, etc. La démarche de victimisation n'est pas aussi présente que dans d'autres livres ; bien sûr, il ne faut pas généraliser. Tous les stigmatisés ne sont pas forts, manipulateurs, etc.

Outre ces considérations, Goffmann apporte une nouvelle grille de lecture de la "déviance" avec des notions telles que celles d'identité sociale, réelle, virtuelle, personnelle ou pour soi. L'Homme est peut-être un tout, mais un tout complexe ; d'où l'importance des sciences telles que la sociologie ;)

Sinon, comme d'habitude quand je lis des ouvrages sociologiques ou autres essais, je vais vous donner mon avis sur la lecture.
L'écriture de Goffman est simple, et vraiment accessible à tous. Pas besoin d'être sociologue pour le lire ; d'autant plus, qu'il nourrit ses théories ou ses hypothèses de nombreux exemples concrets comme des citations ou des extraits d'entretiens.

En somme, à mettre entre toutes les mains pour garantir à notre société une réelle ouverture d'esprit...
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Avant toute chose, je dois confesser que je n'ai jamais étudié la sociologie (pas de cours dans mon cursus par exemple). Préparez-vous donc psychologiquement à lire l'avis profane d'une humble béotienne !

D'ailleurs avez-vous remarqué ce drame qui nous frappe tous ? Face à la douloureuse certitude que nos vies ne dureront pas 1000 ans, et surtout face au constat de la capacité non-illimité de nos cerveaux, il faut se résoudre à accepter de ne pas engranger goulument l'ensemble du savoir humain.

Oui, on dirait de l'ironie, pourtant je vous assure que je suis sincèrement affligée !

Fin de la parenthèse.

Goffman m'avait été conseillé un soir d'hiver dans un bar, par une connaissance de connaissance de connaissance, dont j'ai oublié jusqu'au visage, et qui avait la particularité rare d'étudier « la criminologie ». Si elle se reconnaît, qu'elle sache que je lui en suis reconnaissante !
Ce livre, que d'autre décriront et décrypterons bien mieux que moi, est facile à lire. Point de jargon trop technique comme je le redoutais.

Ce qui personnellement m'a marquée, c'est que ce livre m'a amené à me questionner sur mon positionnement à l'égard des « porteur de stigmate ». En tant que « personne non porteuse d'un stigmate » (si on exclu les caractéristiques mineurs genres taille, goûts vestimentaires et port de lunettes) qu'elle comportement vais-je ou non adopter face à quelqu'un qui lui porte un stigmate « conséquent » (genre canne blanche, difficultés de mobilité…) ?
Quel est mon premier reflexe ? Pour ma part « faire comme si de rien était ». Est-ce la meilleure option ? En essayant de me projeter « à la place de l'autre », j'en ai l'impression. En effet, si j'étais concernée, je vivrais très mal que tout un tas de gens veuillent m'aider à traverser ou me demandent comment j'ai perdu mes jambes. J'aimerais qu'on ne me le notifie pas, quitte à jouer la comédie. Hors je ne suis pas concernée. Et justement, ce que je présume que je voudrais, peut-être ne le voudrais-je pas ? Peut-être voudrais-je des « avantages compensatoires », comme de l'aide ou de l'apitoiement ? Ce serait une réclamation plutôt légitime. Et d'ailleurs rien ne dit que tous les « non-voyants » veulent la même chose.

Donc je ne suis pas plus avancée, mais désormais je le suis d'avantage « en connaissance de cause ». Et c'est déjà ça.
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Décrite en 1963 par le sociologue Erving Goffman, la stigmatisation est un phénomène de société toujours d'actualité aujourd'hui.
A l'origine le stigmate était, chez les Grecs, une marque corporelle au couteau ou au fer rouge qui était gravée sur le corps des criminels, esclaves, traîtres..., tous individus frappés d'infamie et qu'il fallait éviter, surtout dans les lieux publics.
Pour Goffman, le mot stigmate sert à désigner "un attribut qui jette un discrédit profond". Etre, par exemple, handicapé, Noir, prostituée, homosexuel, ... c'est être porteur de stigmates. Les personnes sans stigmates sont qualifiées de normales.

Selon Goffman, toute personne est susceptible de se retrouver stigmatisée dans certaines circonstances données car ce ne sont pas les caractéristiques de la personne, mais nos attitudes, qui vont créer le stigmate : "Le normal et le stigmatisé ne sont pas des personnes mais des points de vue. Ces points de vue sont socialement produits lors des contacts mixtes (…) et puisqu'il est question de rôles au sein de l'interaction et non de personnes concrètes, il n'y a rien d'étonnant à ce que, bien souvent, l'individu stigmatisé sous un aspect fasse montre de tous les préjugés des normaux à l'encontre de ceux qui le sont autrement". le stigmate est une construction sociale et selon les époques une caractéristique qui était stigmatisante (le divorce, par exemple) peut cesser de l'être.

Par rapport aux stigmatisés les normaux adoptent des façons de penser et des comportements spécifiques : "Il va de soi que, par définition, nous pensons qu'une personne ayant un stigmate n'est pas tout à fait humaine. Partant de ce postulat, nous pratiquons toutes sortes de discriminations, par lesquelles nous réduisons efficacement, même si c'est souvent inconsciemment, les chances de cette personne. (...) Observant une imperfection, nous sommes enclins à en supposer toute une série (...)".
L'individu stigmatisé est insécurisé quand il rencontre des personnes normales car il ne sait pas comment elles vont se comporter à son égard. Il a aussi le sentiment qu'il n'est pas jugé comme les normaux : il est félicité pour des réussites minimes tandis que ses moindres échecs sont mis sur le compte de son stigmate.
Il peut réagir alors en essayant de cacher son stigmate, en se servant de ce stigmate comme d'une excuse qui explique tous ses insuccès ou en affichant un air de bravade agressive.

J'ai trouvé la lecture de cet ouvrage fort intéressante. Même s'il me paraît parfois daté sur certains points, je suis surtout frappée par la permanence des comportements humains ici décrits. Il y a de nombreux exemples donnés pour illustrer le propos et qui le rendent accessible.
Lien : http://monbiblioblog.revolub..
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
L'information la plus pertinente pour l'étude du stigmate possède certaines propriétés. C'est une information à propos d'un individu. Elle touche à ce qui la caractérise de façon plus ou moins durable, par opposition aux humeurs, aux sentiments ou aux intentions qu'il peut avoir à un moment donné. De même que le signe par lequel elle se transmet, elle est réflexive et incarnée, c'est-à-dire émise par la personne même qu'elle concerne et diffusée au moyen d'une expression corporelle que perçoivent directement les personnes présentes. L'information qui possède toutes ces propriétés, je la nomme "sociale". Parmi les signes qui la transmettent, certains sont fréquents et stables, toujours recherchés et habituellement reçus ; ont peut les appeler des "symboles".
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Il va de soi que, par définition, nous pensons qu'une personne ayant un stigmate n'est pas tout à fait humaine. Partant de ce postulat, nous pratiquons toutes sortes de discriminations, par lesquelles nous réduisons efficacement, même si c'est souvent inconsciemment, les chances de cette personne. Afin d'expliquer son infériorité et de justifier qu'elle représente un danger, nous bâtissons une théorie, une idéologie du stigmate, qui sert aussi parfois à rationaliser une animosité fondée sur d'autres différences, de classe, par exemple.
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J'ai suggéré plus haut qu'il peut exister un écart entre les identités virtuelle et réelle d'un individu. Cet écart, s'il est connu ou visible, compromet l'identité sociale : il a pour effet de couper l'individu de la société et de lui-même, en sorte qu'il reste là, personne discréditée face à un monde qui la rejette.
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D'une façon générale, cette tendance du stigmate à se répandre explique en partie pourquoi l'on préfère le plus souvent éviter d'avoir des relations trop étroites avec les individus stigmatisés, ou les supprimer lorsqu'elles existent déjà.
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Le faux-semblant et la couverture sont au nombre de ces procédés, applications particulières de l'art de manipuler les impressions, cet art, fondamental pour la vie sociale, grâce auquel l'individu exerce un contrôle stratégique sur les images de lui-même et de ses productions que les autres glanent à son entour.
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Video de Erving Goffman (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Erving Goffman
Conférence Comment se conduire dans les lieux publics de Erving Goffman par Daniel Cefai En France ce que Wolfgang Lepenies appelle la troisième culture ces sciences sociales coincées entre le littéraire et le scientifique est paradoxalement assez peu reconnue la culture générale semble en effet trop souvent pouvoir s'en dispenser C'est un paradoxe dans la mesure où la France est avec Comte Tocqueville et Durkheim notamment l'un des berceaux de ce pan considérable de la pensée Sise entre les rues Emile Durkheim et Raymond Aron la Bibliothèque Nationale de France a décidé de lancer un cycle dédié aux grands livres qui dessinent une bibliothèque idéale des sciences sociales Il s'agit d'inviter à lire et relire quelques-uns de ces grands ouvrages en compagnie d'un chercheur contemporain manière de replacer ces livres dans l'histoire des idées mais aussi et surtout de souligner leur pertinence contemporaine les usages qui peuvent en être faits Cycle proposé par Sylvain Bourmeau Par Daniel Cefai sociologue directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
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