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Claude Zaidman (Éditeur scientifique)Hervé Maury (Traducteur)
EAN : 9782843030536
115 pages
La Dispute (28/03/2002)
3.95/5   20 notes
Résumé :
Le genre du monde est une série dirigée par Danièle Kergoat. Sous ce label sont publiés des livres qui, en explorant les rapports hommes-femmes, contribuent à renouveler la compréhension des sociétés. Erving Goffman, l'inventeur de l'infiniment petit en sociologie, cherche la domination masculine non seulement dans les discriminations ou les comportements couramment dénoncés comme sexistes, mais aussi et surtout dans les gestes du quotidien, dans chaque situation o... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
du fait de ma « curiosité » à comprendre les comportements humains et interactions de toute sorte, j'étais intéressée par un des gros sujets d'actualité : l'affaire Weinstein. Pas par le côté people bien entendu mais par le sens et la portée de cette affaire.
Interviews de professionnels que j'entendais à la radio, messages d'artistes, de femmes et d'hommes du quotidien, discussion avec des amis ou collègues. Chacun y allait de son commentaire et son jugement, selon ses propres expériences, ses propres observations au quotidien, selon son sexe et sa position dans la société.
Moi qui, lors de discussions avec des amis hommes, ai tendance à être exagérément ‘'féministe'' pour défendre le droit des femmes, rappelant avec énergie les inégalités en matière de salaire, dans la sphère familiale (partage des tâches domestiques, éducation des enfants), j'espère néanmoins qu'ils considèrent que je cherche plutôt l'égalité, l'équité plutôt que de prôner, pour tout propos, que les lois et la société sont d'office, quel que soit le thème, faites par et pour le sexe dit fort.
Ainsi, je n'oubliais pas ces hommes que je connaissais très impliqués dans leur vie de famille. Je n'oubliais pas non plus que j'avais, à diverses occasions, discuté avec des amis, pères divorcés, de leur période de séparation. J'avais vu leur amertume, colère ou désespoir, compris leur combat presque vain pour pouvoir voir plus souvent leurs enfants. Je savais alors qu'en matière de gardes des enfants, le jugement se faisait majoritairement au profit des mères.
Ainsi, encore, lorsque j'entendais certaines femmes considérer que même un sifflement dans la rue pouvait être dans les nouvelles mesures d'interdictions, que certaines « blagues » avaient été jugées sexistes, que certains compliments faits par des collègues hommes pouvaient être considérés comme du « harcèlement sexuel », je trouvais que c'était un peu extrême à mon goût. Même en soi le « #balance ton porc » me mettait mal à l'aise. Ça finissait par être trop de délations en tout genre. Et, pourquoi pas aussi, pendant qu'on y était, revenir en arrière et refaire des lieux bien différenciés entre sexe ? L'école ? Les transports publics ? Les files d'attente dans les administrations ? Ça résoudrait tous les problèmes et limiteraient les côtoiements intempestifs ??
J'étais déroutée. Fallait-il des règles à ce point extrêmes pour recadrer au mieux les comportements de genre, pour espérer un minimum d'avancées sociales ? Les femmes « devaient » -elles se montrer vraiment choquées par toute forme de comportements (petite blague, compliments de collègues, verre offert dans un bar, etc.) quel que soit le type d'hommes face à elles ? Il m'arrive de lancer quelques blagues, quelques compliments à des amis ou collègues hommes. Et cela me déplairait fortement qu'ils me considèrent comme une « harceleuse ».
Est-ce que je me trompais dans ma façon d'appréhender les choses ?
J'avais besoin de revenir aux bases et je me suis alors plongée dans l'essai « L'arrangement des sexes » d'Erving Goffman.
Goffman, américain d'origine canadienne (1922-1982) est un des sociologues réputés pour ces études sur les interactions et l'identité sociale. Ces oeuvres les plus connues sont « Asile », « mise en scène de la vie quotidienne » ou encore « Stigmate ». C'est l'inventeur de l'infiniment petit en sociologie.
Cet essai, même s'il est très court, et même s'il date de 1977, est on ne peut plus d'actualité. Certes, il a été critiqué à son époque par certaines scientifiques féministes (du fait déjà que ce soit écrit par un homme et crée donc un biais ou une limite par la perspective d'un « dominant ») ou encore pour ses exemples datés ou limités (classe moyenne blanche aux Etats-Unis). La présentation par Claude Zaidman (qu'on peut lire avant le texte de Goffman) est très utile pour la compréhension à la fois du contexte et de l'essai.
Passé ce contexte, il n'en reste pas moins que « L'arrangement des sexes » m'a permis de repositionner ou confirmer certaines de mes réflexions.
L'analyse du chercheur peut être parfois assez complexe mais son humour, un brin ironique, ainsi que ses exemples du quotidien rendent la lecture à la fois claire et plaisante.
Goffman pose comme postulat que les différences biologiques entre les sexes ne sont pas si importantes que cela pour expliquer les différences de genre. Ce qui est intéressant à étudier et à observer justement, c'est comment l'organisation sociale construit et affirme cette différence entre les sexes pour justifier les différences sociales.
Il montre que, dès le plus jeune âge, au sein même du foyer comme lieu de socialisation, si le garçon et la fille, vivant dans une société moderne occidentale, peuvent attendre le même traitement et les mêmes droits, l'éducation sera cependant différenciée. La fille tiendra un rôle plus domestique, le garçon plus en rapport à la compétition. Par exemple, le garçon lors d'un repas aura la plus grosse part, la fille « plus fragile » aura le lit le plus confortable. Dès lors, « la formation d'une sorte de coalition est la réponse naturelle aux dures réalités du monde » afin d'obtenir ce dont on a besoin, tout en n'accomplissant pas un travail qui ne nous convienne pas.
Il explique que les métiers des femmes ont été surtout à la base concentrés vers ceux qui « leur conviennent » : éducation, textile mais aussi dans l'administration ou le secrétariat. Dans certains domaines, le recrutement/ sélection de jeunes femmes « attirantes » est plus important. L'exemple des secrétaires des chefs d'entreprise ont forcément rappelé ces hommes habitués au pouvoir et à être entourés de jeunes femmes attirantes et dévouées, au point d'en abuser.
Dans ses propos sur la galanterie et la cour, Goffman rappelle que les femmes sont le seul groupe à être à la fois défavorisé mais aussi tenu en « haute estime » et « idéalisé ». Goffman confirme que la société est misogyne et sexiste. Cependant, il ajoute que la femme n'est pas toujours pour autant un être passif et faible. Vis-à-vis de la femme, sexe considéré « plus fragile », l'homme va devoir se montrer galant, attentif, voire attentionné (pour obtenir ce dont il a besoin), cette dernière pourra ou non accepter ses attentions, répondre à ses avances (pour obtenir ce dont elle a besoin). Soit les arrangements entre sexes.
L'homme se doit de « protéger » la femme (il la porte pour ne pas qu'elle se salisse, doit éviter qu'elle se fasse mal, doit lui porter les choses trop lourdes, la défendre devant des importuns, parce que la femme est « plus fragile », vous vous rappelez ?). Mais le chercheur a raison d'ajouter (pour moi la femme qui l'oublie parfois) que ce n'est pas pour autant que l'homme aime se battre. La femme a d'ailleurs aussi d'autres privilèges comme être exemptée, par exemple, du service militaire.
En lisant certains paragraphes, je me suis rappelé un ami qui me disait que, si les femmes souhaitaient l'égalité, les hommes n'avaient plus, de ce fait, alors à se montrer galants, leur ouvrir la porte, etc. Mince, moi qui apprécie les petites attentions, qui ai tant lu de contes de fée lorsque j'étais petiote, cela me rappelle aussi le plaisir des jeux de séduction de part et d'autre et cela me rappelle surtout qu'on ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre :)
Pour ne pas « déprécier la monnaie » (dixit), casser l'image de la femme pure et fragile, pour le cas où elle voudrait autoriser trop souvent ses faveurs aux hommes (oh la coquine…), le modèle traditionnel a été de considérer le sexe comme « chose sale », avilissant (Donc, ma cocotte, tu ne fais pas de bêtises parce que c'est sale, ce n'est pas pour une fille respectable ou tu vas vite être affublée de petits noms…). le contrat voulait alors que ce n'est qu'une fois en couple que l'homme obtenait « des droits d'accès exclusifs » et la jeune femme, elle, obtenait une position sociale.
Le sociologue précise à juste titre que c'est l'homme (le dominant) qui va vers la femme pour créer un lien, un échange, et cette dernière -même si elle est en droit de refuser-, est, dans ces conditions, exposée à plus de harcèlements (plus ou moins violents).
Difficile pour moi d'essayer de ne pas trop approfondir les réflexions et l'analyse, d'essayer d'être concise sans éviter des propos qui peuvent sembler un peu clichés. Mais, il est aussi difficile pour moi de ne pas finir en disant qu'il y a encore beaucoup à faire pour l'égalité entre sexes, pour changer les mentalités, les comportements et discours sexistes (on pourrait faire un gros dictionnaire des citations les plus affligeantes des dirigeants politiques ! Ils rivalisent de tels bons mots et gestes…). Je n'oublie pas non plus que nous avons de la chance d'être des femmes occidentales et que, malheureusement, il faut un peu plus qu'une journée internationale des droits de la femme. Il serait intéressant de lire d'ailleurs des essais plus actuels, tenant notamment compte de la présence et frénésie des réseaux sociaux. Je me demande encore quelles vont être toutes les implications, à moyen ou plus long terme, à cette affaire Weinstein.
Allez, la petite note positive de la fin : si l'essai m'a permis d'y voir un peu plus clair, il m'a aussi rappelée que tout n'est pas pour autant critiquable dans les arrangements entre sexes :)

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A l'origine ce texte, écrit en 1977 par le sociologue Erving Goffman, était un article paru dans la revue "Theory and Society". Il a été publié en France en 2002.

Goffman s'intéresse aux mécanismes qui, dans l'organisation sociale, permettent "l'arrangement des sexes", autrement dit, instituent les rapports entre les sexes et ce, bien entendu, au profit des hommes. En premier lieu, l'auteur part de l'hypothèse que les différences biologiques entre les sexes sont non pertinentes pour expliquer les différences de genre (le genre étant entendu comme, en quelque sorte, le "sexe social" qui définit une identité de genre), alors même que ces différences sont affirmées en grande partie en leur nom.

Ainsi, il développe le concept de "réflexivité institutionnelle", c'est-à-dire que les pseudo différences biologiques sont inscrites dans les institutions mêmes pour en garantir la pertinence. Par ailleurs, la répartition des individus en deux classes sexuelles distinctes, appelant une socialisation différenciée, fournit une identité de genre, qui brouille la perception que peuvent avoir les mêmes individus de leur positionnement au sein d'une classe sociale spécifique. de même, cette notion de classe sexuelle (et tous les attributs qui en découlent) rend moins aisée la differentiation entre sociétés "sauvages" et civilisées.

C'est un réel plaisir de lire Goffman et notamment les descriptions qu'il fait de situations ou se jouent les relations entre les sexes (selon les injonctions de l'organisation sociale) : le processus de séduction (la cour), la galanterie, mais également la description de quelques exemples de réflexivité institutionnelle (dont le plus célèbre est celui des toilettes publiques). Enfin, l'auteur attire notre attention sur le fait que, de toutes les catégories discriminées, les femmes ont une place à part dans le sens où elles sont la seule catégorie à faire l'objet d'une idéalisation ("un panthéon de moindre valeur mais un panthéon quand même") et à faire l'objet d'une distribution organisée via le mariage, ce qui leur donne, par les avantages acquis liés à leur lien avec les hommes, un intérêt objectif à ne pas remettre en cause le système.

En bref, un texte qui demeure d'une grande pertinence, très dense malgré sa brièveté (80 pages), plutôt accessible et qui me semble malheureusement toujours d'actualité.
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Attention ! Lire cet essai nécessite une certaines curiosité et également d'avoir les synapses en état de veille, voire même sur le qui-vive ! En effet, une lecture comme celle-ci soulève de nombreuses questions et amène à s'interroger sur tous ceux qui nous entourent, mais également sur notre conception des rapports humains et, plus largement, sur les relations entre les deux sexes.

Vaste question que l'arrangement des sexes ! Mais le sociologue apporte ici des exemples et précis qui nous parlent à tous. L'utilisation d'une touche d'humour, parfois, et de propos très clairs, toujours, rend le sujet plus accessible pour le lecteur et permet une lecture extrêmement fluide.

Ce qui est intéressant à étudier et à observer, justement, c'est comment l'organisation sociale construit et affirme cette différence entre les sexes pour justifier les différences sociales. Galanterie, recrutement pour un emploi, protection de la femme, relations intimes… Rien n'est passé sous silence, tout est savamment décortiqué et analysé…

L'auteur pointe du doigt le fait que, de toutes les catégories discriminées, les femmes ont une place particulière puisqu'elles constituent la seule catégorie à faire l'objet d'une idéalisation et également l'objet d'une distribution organisée. Cela donne à s'interroger si nous devons remettre en cause ce système ?

Un texte qui date de 1977 et qui pourtant est toujours d'actualité ! À lire !
Lien : https://ogrimoire.com/2023/1..
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
L'un des moyens traditionnels d'encourager les femmes à se tenir en retrait et à ne pas accorder leurs faveurs sexuelles trop facilement, ce qui, si tel devenait le cas général, pourrait déprécier la monnaie, a été de définir la sexualité comme quelque chose de sale et de mauvais, comme corruptrice, comme ce que seuls les homme désirent, quelque chose, donc, qui accable les honnêtes femmes et suscite les femmes de mauvaise vie.
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Et la particularité de la société industrielle n'est pas que notre forme de production économique dépende peu des différences naturelles entre les sexes - il serait difficile de trouver, où que ce soit, à quelque époque que ce soit, une société où cela a été effectivement le cas - mais plutôt qu'une partie de nos concitoyens ne croie plus que la place traditionnelle des femmes soit l'expression naturelle de leurs capacités naturelles. Et sans cette croyance, l'ensemble de l'arrangement entre les classes sexuelles cesse d'avoir grand sens. Je ne prétends pas que le scepticisme sur ce point modifiera fondamentalement l'arrangement des sexes, mais que, si le modèle traditionnel se maintient, il se maintiendra moins confortablement.
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Dans toutes les sociétés, le classement initial selon le sexe est au commencement d'un processus durable de triage, par lequel les membres des deux classes sont soumis à une socialisation différentielle. Dès le début, les personnes classées dans le groupe mâle et celles qui le sont dans l'autre groupe se voient attribuer un traitement différent, acquièrent une expérience différente, vont bénéficier ou souffrir d'attentes différentes.
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Les femmes en tant que groupe défavorisé sont donc, comme les bonnes (ou les employées de maison), quelque peu isolées, d'un point de vue écologique, du commerce de leurs semblables. Cependant, à la différence du personnel de maison, les femmes sont aussi séparées les unes des autres par les intérêts qu'elles acquièrent dans l'organisation même qui les divise. Car, au lieu d'un employeur ou d'un maître, une femme va probablement avoir (au cours de sa vie) un père, un mari et des fils. Et ces mâles lui transmettent suffisamment de ce qu'ils possèdent ou acquièrent pour lui conférer un acquis à leur corporation.
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Il semble que [...] d'une façon générale, les rôles sociaux des hommes et des femmes soient nettement différenciés, ce qui, incidemment, attribue aux femmes un rang et un pouvoir moindres, apporte des restrictions à l'usage qu'elles peuvent faire de l'espace public, les exclut de la guerre et de la chasse, et souvent des fonctions religieuses et politique ; et que, plus que les hommes, les femmes voient leur vie centré sur les tâches domestiques. Cet ensemble d'arrangements est une thématique centrale de l'organisation sociale humaine, qui trouble la distinction entre sociétés sauvages et civilisées.
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Vidéo de Erving Goffman
Conférence Comment se conduire dans les lieux publics de Erving Goffman par Daniel Cefai En France ce que Wolfgang Lepenies appelle la troisième culture ces sciences sociales coincées entre le littéraire et le scientifique est paradoxalement assez peu reconnue la culture générale semble en effet trop souvent pouvoir s'en dispenser C'est un paradoxe dans la mesure où la France est avec Comte Tocqueville et Durkheim notamment l'un des berceaux de ce pan considérable de la pensée Sise entre les rues Emile Durkheim et Raymond Aron la Bibliothèque Nationale de France a décidé de lancer un cycle dédié aux grands livres qui dessinent une bibliothèque idéale des sciences sociales Il s'agit d'inviter à lire et relire quelques-uns de ces grands ouvrages en compagnie d'un chercheur contemporain manière de replacer ces livres dans l'histoire des idées mais aussi et surtout de souligner leur pertinence contemporaine les usages qui peuvent en être faits Cycle proposé par Sylvain Bourmeau Par Daniel Cefai sociologue directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
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