J'avais lu
les Âmes Mortes à 16 ans je crois. C'était trop jeune. Je viens de le relire dans la traduction qui m'a paru très bonne de Mme
Anne Coldefy-Faucard, chez Verdier édition.
Gogol, quel étrange écrivain... quel écrivain à part dont on sent tout le soin et sans doute tout le mal qu'il s'est donné et la sueur qu'il a versé à peaufiner cette
oeuvre, se redonnant du coeur à l'ouvrage par ses interludes où l'auteur interpelle le lecteur (passez-lui cette fantaisie,
Gogol est un auteur qui vous veut du bien).
Cette histoire de petit truand (sur une idée de
Pouchkine), celle-ci ou une autre, au fond, ne l'intéresse pas : ce que
Gogol aime et veut atteindre c'est l'art pour l'art, le style, l'effet de surprise, la saveur des mots et des situations, des êtres et des choses, le sens du détail, du dialogue bien senti, de l'absurde, et du rire (un rire humain, savoureux, jamais vulgaire, ni cynique ni fielleux - un rire qui semblera peut-être, aux plus blasés d'entre nous, un peu désuet, un peu passé).
Cette histoire n'est donc qu'un prétexte à une série de portraits tous différents et toujours renouvelés, succulents, avec, en guise de fil rouge, un héros dont on apprendra le passé en fin de l'ouvrage, comme une nouvelle dans le roman. C'est drôle et c'est inattendu à chaque page. Et cela suffirait à recommander le livre et lui coller un carré d'as bien mérité. Quand...
... page 303... tombe du ciel comme de nulle part, l'Histoire du Capitaine Kopeckine... Alors, sur une dizaine de pages,
Gogol touche au génie et anticipe Céline avec presque 100 ans d'avance : quelque chose d'universel, d'intemporel, de libre et de sidérant. Je viens d'apprendre que ce passage avait été supprimé par la censure de l'époque, avant d'être réécrit par
Gogol pour le sauver.