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Critique de CDemassieux


Germinie Lacerteux défini en une phrase, ce serait l'anti Assommoir.
En effet, là où Zola semble se délecter de la déchéance de Gervaise, les frères Goncourt, quant à eux, proposent un portrait de fille du peuple – malheureuse –nettement plus nuancé, fin et empathique ; ce qui ne laisse pas d'étonner lorsque l'on sait, par ailleurs, avec quelle piquante cruauté ils brossaient les portraits de leurs contemporains, dans leur fameux Journal.
Sans doute, l'inspiration du personnage de Germinie n'est-elle pas étrangère à l'humanité que recèle leur roman. Car derrière Germinie se dessine en filigrane leur servante Rose qui, elle aussi, avait une double vie, ainsi que les auteurs le rapportent dans leur Journal : « Elle entretenait des hommes, le fils de la crémière, auquel elle a meublé une chambre, un autre auquel elle portait notre vin, des poulets, de la victuaille… Une vie secrète d'orgies nocturnes, de découchages, de fureurs utérines […] Une passion, des passions à la fois de toute la tête, de tout le coeur, de tous les sens, et où se mêlaient les maladies de la misérable fille, la phtisie qui apporte de la fureur à la jouissance, l'hystérie, un commencement de folie. […] Et à l'égard de ces hommes, c'était une ardeur si extravagante, si maladive, si démente, qu'elle — l'honnêteté en personne autrefois — nous volait, nous prenait des pièces de vingt francs sur des rouleaux de cent francs, pour que les amoureux qu'elle payait ne la quittassent pas.
Or, après ces malhonnêtes actions involontaires, ces petits crimes arrachés à sa droite nature, elle s'enfonçait en de tels reproches, en de tels remords, en de telles tristesses, en de tels noirs de l'âme, que dans cet enfer, où elle roulait de fautes en fautes, désespérée et inassouvie, elle s'était mise à boire pour échapper à elle-même, se sauver du présent. »
Mais on n'écrit pas une grande oeuvre avec juste du vrai, et les innombrables romans-témoignage, qui nous infligent aujourd'hui leur indigence littéraire, sont là pour le démontrer. Ce qui fait la grandeur – tragique – de Germinie Lacerteux c'est non seulement son style mais encore sa force évocatrice, comme dans ce passage significatif entre tous : « Les jours succédaient aux jours pour Germinie, pareils, également désolés et sombres. Elle avait fini par ne plus rien attendre du hasard et ne plus rien demander à l'imprévu. Sa vie lui semblait enfermée à jamais dans son désespoir : elle devait continuer à être toujours la même chose implacable, la même route de malheur, toute plate et toute droite, le même chemin d'ombre, avec la mort au bout. »
Sur le fond, on pardonne tout à Germinie et l'on accable sans retenue les instruments de son malheur, tout en remerciant la Providence de lui avoir accordé une femme qui, elle aussi, a eu son compte de souffrances : mademoiselle de Varandeuil, sa maîtresse, qui, sa colère passée après découvert l'autre vie de sa domestique, comprendra que le malheur de Germinie était cause de ses agissements insensés et désespérés.
Car pour mademoiselle de Varandeuil, Germinie, « ce n'est pas une bonne, ce n'est pas une domestique pour moi, cette fille-là : c'est comme la famille que je n'ai pas eue !... » Aveu déchirant qu'il eût été bon de faire plus tôt à l'intéressée en mal d'amour au point de se jeter dans les excès les plus dévastateurs, dans les bras de créatures malintentionnées qui écumeront toujours le monde à la recherche d'âmes sincères à pervertir et détruire.
Tout cela est raconté avec une acuité psychologique qui me fait dire – ainsi qu'à d'autres ! – que Freud n'est pas tombé du Ciel. D'autres avant lui avaient pensé les souffrances psychiques…

De Germinie Lacerteux je ressors avec une indéfinissable tristesse et j'en remercie ses auteurs car, ainsi qu'ils l'ont écrit dans leur préface : « le public aime encore les lectures anodines et consolantes, les aventures qui finissent bien, les imaginations qui ne dérangent ni sa digestion ni sa sérénité : ce livre, avec sa triste et violente distraction, est fait pour contrarier ses habitudes et nuire à son hygiène. »
C'est la définition même de la littérature, je crois…

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