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Critique de fabienne2909


Romantisme à la sauce Régence et fantastique démoniaque sont habituellement des genres assez antinomiques, si bien que peu d'auteurs s'y sont tentés. N'est entré dans ce club très fermé, à ma connaissance, que Seth Grahame-Smith et son « Orgueil et préjugés et zombies », mais il commençait à se sentir un peu seul. Heureusement, Alison Goodman est arrivée avec son très réussi « Club des mauvais jours », qui a été un vrai coup de coeur.

En ce mois d'avril 1812, à Londres, lady Helen Wrexhall se prépare pour le bal où elle sera présentée à la reine Charlotte. Faire son entrée dans le monde est un moment important pour toute jeune fille fortunée comme elle, puisqu'elle est censée attirer des prétendants pour se marier, mais pour Lady Helen, réussir cette étape possède un enjeu supplémentaire : faire oublier qu'elle est la fille de lady Catherine, une espionne qui a trahi jadis la Couronne… Ce qui est difficile pour cette jeune fille à la vive curiosité et à la vigueur physique qui la poussent parfois à ne pas rester en place, au dam de sa tante et de son oncle qui les ont recueillis, son frère Andrew et elle, à la disparition de leurs parents (ce que ledit oncle ne manque jamais de lui faire oublier). Et ce qui sera encore plus difficile quand elle fera la connaissance de lord Carlston, un duc à la réputation sulfureuse, qui lui apprendra qu'elle est une Vigilante, c'est-à-dire une personne dotée de pouvoirs extraordinaires destinée à lutter au sein du Club des mauvais jours (une organisation secrète gouvernementale dont fait partie lord Carlston) contre les Abuseurs, des démons se nourrissant, grâce à leur trompe (particulièrement phallique), de l'énergie et des sentiments des humains. Lady Helen sera donc face à un choix : dans quel monde entrer ? Celui du monde social, où les seuls dangers sont ceux du maintien de son rang et de sa respectabilité et de la recherche du meilleur parti à épouser, ou dans l'autre monde souterrain, sillonné par les Abuseurs, où le danger rôde, et dans lequel elle devra abandonner toute convenance sociale pour sauver le monde en compagnie de lord Carlston, cet aristocrate violent, malsain mais étrangement attirant (voilà pour la note romantique) ?

Ce premier tome constitue classiquement un épisode d'apprentissage, dans lequel lady Helen se révèle à elle-même et où le lecteur en apprend un peu plus sur les règles de ce monde parallèle. Alison Goodman réussit à créer un univers cohérent, faisant appel à des personnages historiques réels comme le prince régent, la reine Charlotte, Beau Brummell ou encore lord Byron, et qu'on prend plaisir à découvrir dans tous ses paradoxes, entre apparences convenables de la société de la Régence et violence brute de la lutte entre le bien (le club des mauvais jours) et le mal (les Abuseurs), même si on peine à savoir au final lequel des deux est le plus rude : on comprend bien à la lecture du tome qu'il était loin d'être évident pour une jeune fille de naviguer dans la société huppée du XIXe siècle, avec ses nombreux codes et pièges. Une seule erreur et le déshonneur n'était pas loin !

Mais le roman vaut pour ce personnage hors du commun – dans tous les sens du terme – qu'est lady Helen : fait rare, je me suis rapidement prise d'affection pour ce personnage sain, équilibré, intelligent, et nuancé. Moderne en ce qu'elle n'accepte pas de se soumettre aux diktats (patriarcaux entre autres) de son siècle. Mais qui fait face à un sacré dilemme : fermer les yeux sur les horreurs sous-jacentes menaçant le Monde (oui, rien que ça), ou embrasser son destin, avec les sacrifices exorbitants qui vont avec… Et elle y fait face de manière souvent fougueuse mais intelligente. J'ai souffert avec elle de cette déchirure qui lui est imposée, si bien que souvent j'avais, à mon corps défendant, presque envie qu'elle reste dans le rang, dans le monde « normal » afin qu'elle soit en sécurité, et à chaque choix dangereux je me sentais mal pour elle.

Un seul point m'a paru étrange, et qui n'est pas du fait d'Alison Goodman, mais des choix éditoriaux de Gallimard, qui ont fait paraître ce roman dans leur collection jeunesse, alors que bien des aspects de ce roman ne me semblent pas forcément adaptés pour des ados (le roman est conseillé à partir de 13 ans), notamment concernant les Abuseurs : ceux-ci sont décrits comme des êtres qui déploient, pour se nourrir, une trompe qualifiée d'obscène, à l'instar de leur manière d'obtenir l'énergie (souvent sexuelle) des humains. Je n'ai pas eu l'impression de lire un roman pour jeunes adolescents, bien au contraire ! L'insistance sur les Abuseurs et leurs manières d'opérer m'ont d'ailleurs suggéré qu'ils seraient une métaphore, probablement de la perte de son innocence de jeune fille (peut-être vais-je un peu loin, ce sera à vérifier dans les prochains tomes que je ne vais pas tarder à me procurer).
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