AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de lafilledepassage


Voilà un essai qui est loin d'être facile à chroniquer. Les notions, les idées s'y bousculent et ce n'est pas toujours évident de suivre le raisonnement de l'auteur. Sa pensée est dense et complexe. Enfin je parle pour moi, bien sûr … Je vais quand même essayer de synthétiser cet essai si riche, si foisonnant. Tant bien que mal.

Déjà le titre est très séduisant, je trouve. Et puis si je m'attarde un peu à la bibliographie du bonhomme, je ne peux qu'être pour le moins curieuse: « La santé totalitaire », « L'empire des coachs, une nouvelle forme de contrôle social », « Exilés de l'intime. La médecine et la psychiatrie au service du nouvel ordre économique ». Voilà des titres très alléchants, et qui annoncent une pensée originale, voire subversive. Et c'est vrai que je n'ai pas été déçue …

Le constat principal de Gori, c'est la prédominance de la « technique » dans tous les domaines de notre vie. Bien sûr nous ne pouvons nier son omniprésence dans nos vies de tous les jours, mais là où ça devient plus insidieux, et plus inquiétant aussi, c'est son influence sur notre langage, notre façon de raconter, de nous raconter, et par là même sur nos rêves.

La machine (numérique ou non) et tous ses corollaires (comme l'utilisation des statistiques à outrance, des algorithmes de décision, la surabondance des informations brutes – exactes ou fausses- livrées sans recul et sans analyse, leur durée de vie extrêmement limitées, …) font de nous des hommes numériques, bientôt limités à nos capacités de production. Et rien de plus. On fait fi de la faculté de penser des hommes, de leur bon sens, de leur jugement, de leur pouvoir de création. L'homme est devenu un moyen de production comme un autre qu'il faut pouvoir contrôler et évaluer. Un moyen de production qui doit entrer en communication avec la machine, et par cela même utiliser un langage compris par la machine. Donc un langage purement objectif, sans aucune équivocité, aucune subjectivité, aucune poésie. Avec à terme un appauvrissement du langage et des schémas linguistiques, et tout ce que cela entraine. En fait là où la machine aurait dû permettre à l'homme de s'affranchir en quelque sorte de sa condition, elle l'aliène. L'homme est devenu l'esclave de la machine. Et un nouveau totalitarisme est en train de naître sous nos yeux.

La parole est peu à peu dévalorisée pour être limitée à l'information qu'elle véhicule. Rien de plus. Ce langage (mais peut-on encore parler de langage ?) et cette façon d'aborder la vie, uniquement basés sur des informations objectives, quantifiables, que l'on voudrait exactes, envahissent tout notre quotidien. Même les domaines très éloignés de la technique, tel le monde de la psychiatrie. A titre personnel, j'en ai fait les frais il y a quelque temps. J'étais dans une période de doute et de désespoir, une période de crise existentielle comme je crois tout le monde traverse un jour ou l'autre, et j'ai éprouvé le besoin de trouver une aide extérieure. J'ai contacté une psychologue, qui m'a écoutée pendant une heure. Puis elle m'a fait passer toute une batterie de tests, test d'orientation, test de QI, qui ont livré leur verdict … Ouais, bon … Je n'étais pas plus avancée, mes doutes étaient toujours là, et j'ai compris que la psy ne pouvait rien de plus pour moi. Sauf me prescrire quelques pilules, quelques drogues légales. Peut-être aurai-je dû m'adresser à un prêtre. Quel dommage que je ne crois pas en Dieu …

D'autres domaines aussi sont touchés. Et non des moindres. Ainsi en Amérique pour accéder aux meilleures universités, les parents imposent à leurs enfants les loisirs qui ont le plus de poids dans les algorithmes qui décideront ou non de l'inscription ou non du chérubin dans la tant convoitée université. Pauvre gosse !

Bref c'est toute notre société qui est atteinte de cette folie normative, de ce tout-à-la-machine, sans plus aucun contrôle humain, sans aucun recours au sens critique. Même nos processus mentaux sont formalisés par les sciences cognitives qui sont une écriture du monde. Et non le monde lui-même. D'ailleurs parfois, (souvent ?) la machine se trompe. Rappelons-nous des erreurs d'estimation des sociétés de cotation lors de la crise financière de 2008.

Peu à peu, c'est la parole qui disparait alors qu'elle est le fondement des démocraties et du sens de notre vie aussi : en racontant sa vie on l'éclaire, on l'explicite on lui donne du sens. D'où difficulté de trouver du sens à nos vies.

En conclusion, voilà un essai très intéressant, truffé de références (Freud, Lacan, Hanna Arendt, Weil, Walter Benjamin, Bourdieu, pour les plus connus), où je me suis parfois perdue, mais où j'ai trouvé beaucoup de réflexions intéressantes, qui m'ont interpellée et ont apporté un nouvel éclairage sur mon expérience personnelle et sur notre époque actuelle. Un éclairage original, intelligent, très réaliste et malheureusement très déprimant. Mais tellement nécessaire.
Commenter  J’apprécie          405



Ont apprécié cette critique (37)voir plus




{* *}