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EAN : 9782330024611
192 pages
Actes Sud (28/09/2013)
3.36/5   14 notes
Résumé :
Au nom d'un "rationalisme économique morbide" une nouvelle colonisation des esprits envahit la planète.
Avec ses agences d'évaluation et ses hommes de main, cette "religion du marché" interdit de penser le monde, notre monde, autrement que comme un stock de marchandises ou de produits financiers. Pour réaliser cette nouvelle manière de civiliser les moeurs il fallait faire chuter la valeur de l'expérience et celle du récit - de la parole - qui la transmet. En... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Voilà un essai qui est loin d'être facile à chroniquer. Les notions, les idées s'y bousculent et ce n'est pas toujours évident de suivre le raisonnement de l'auteur. Sa pensée est dense et complexe. Enfin je parle pour moi, bien sûr … Je vais quand même essayer de synthétiser cet essai si riche, si foisonnant. Tant bien que mal.

Déjà le titre est très séduisant, je trouve. Et puis si je m'attarde un peu à la bibliographie du bonhomme, je ne peux qu'être pour le moins curieuse: « La santé totalitaire », « L'empire des coachs, une nouvelle forme de contrôle social », « Exilés de l'intime. La médecine et la psychiatrie au service du nouvel ordre économique ». Voilà des titres très alléchants, et qui annoncent une pensée originale, voire subversive. Et c'est vrai que je n'ai pas été déçue …

Le constat principal de Gori, c'est la prédominance de la « technique » dans tous les domaines de notre vie. Bien sûr nous ne pouvons nier son omniprésence dans nos vies de tous les jours, mais là où ça devient plus insidieux, et plus inquiétant aussi, c'est son influence sur notre langage, notre façon de raconter, de nous raconter, et par là même sur nos rêves.

La machine (numérique ou non) et tous ses corollaires (comme l'utilisation des statistiques à outrance, des algorithmes de décision, la surabondance des informations brutes – exactes ou fausses- livrées sans recul et sans analyse, leur durée de vie extrêmement limitées, …) font de nous des hommes numériques, bientôt limités à nos capacités de production. Et rien de plus. On fait fi de la faculté de penser des hommes, de leur bon sens, de leur jugement, de leur pouvoir de création. L'homme est devenu un moyen de production comme un autre qu'il faut pouvoir contrôler et évaluer. Un moyen de production qui doit entrer en communication avec la machine, et par cela même utiliser un langage compris par la machine. Donc un langage purement objectif, sans aucune équivocité, aucune subjectivité, aucune poésie. Avec à terme un appauvrissement du langage et des schémas linguistiques, et tout ce que cela entraine. En fait là où la machine aurait dû permettre à l'homme de s'affranchir en quelque sorte de sa condition, elle l'aliène. L'homme est devenu l'esclave de la machine. Et un nouveau totalitarisme est en train de naître sous nos yeux.

La parole est peu à peu dévalorisée pour être limitée à l'information qu'elle véhicule. Rien de plus. Ce langage (mais peut-on encore parler de langage ?) et cette façon d'aborder la vie, uniquement basés sur des informations objectives, quantifiables, que l'on voudrait exactes, envahissent tout notre quotidien. Même les domaines très éloignés de la technique, tel le monde de la psychiatrie. A titre personnel, j'en ai fait les frais il y a quelque temps. J'étais dans une période de doute et de désespoir, une période de crise existentielle comme je crois tout le monde traverse un jour ou l'autre, et j'ai éprouvé le besoin de trouver une aide extérieure. J'ai contacté une psychologue, qui m'a écoutée pendant une heure. Puis elle m'a fait passer toute une batterie de tests, test d'orientation, test de QI, qui ont livré leur verdict … Ouais, bon … Je n'étais pas plus avancée, mes doutes étaient toujours là, et j'ai compris que la psy ne pouvait rien de plus pour moi. Sauf me prescrire quelques pilules, quelques drogues légales. Peut-être aurai-je dû m'adresser à un prêtre. Quel dommage que je ne crois pas en Dieu …

D'autres domaines aussi sont touchés. Et non des moindres. Ainsi en Amérique pour accéder aux meilleures universités, les parents imposent à leurs enfants les loisirs qui ont le plus de poids dans les algorithmes qui décideront ou non de l'inscription ou non du chérubin dans la tant convoitée université. Pauvre gosse !

Bref c'est toute notre société qui est atteinte de cette folie normative, de ce tout-à-la-machine, sans plus aucun contrôle humain, sans aucun recours au sens critique. Même nos processus mentaux sont formalisés par les sciences cognitives qui sont une écriture du monde. Et non le monde lui-même. D'ailleurs parfois, (souvent ?) la machine se trompe. Rappelons-nous des erreurs d'estimation des sociétés de cotation lors de la crise financière de 2008.

Peu à peu, c'est la parole qui disparait alors qu'elle est le fondement des démocraties et du sens de notre vie aussi : en racontant sa vie on l'éclaire, on l'explicite on lui donne du sens. D'où difficulté de trouver du sens à nos vies.

En conclusion, voilà un essai très intéressant, truffé de références (Freud, Lacan, Hanna Arendt, Weil, Walter Benjamin, Bourdieu, pour les plus connus), où je me suis parfois perdue, mais où j'ai trouvé beaucoup de réflexions intéressantes, qui m'ont interpellée et ont apporté un nouvel éclairage sur mon expérience personnelle et sur notre époque actuelle. Un éclairage original, intelligent, très réaliste et malheureusement très déprimant. Mais tellement nécessaire.
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Un sujet intéressant, des arguments convaincants et un style artificiellement savant mais compréhensible pour ceux qui s'accrochent. La thèse de l'auteur est que notre société a évolué vers une survalorisation de l'information (numérisation, protocoles standardisés dans tous les domaines, glorification de la science, développement du capitalisme, technocratie qui remplace le politique, médias...) aux dépens du langage, qui pourtant est indispensable pour donner du sens à nos vies.
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Pour les Athéniens du siècle de Périclès, contraindre était le lot des barbares, du pré-politique. Le politique commence quand il s’agit de convaincre, de convaincre par des arguments, convaincre par l’argumentation entre « égaux » situés à la même distance des « lieux » de décision dans la gestion des affaires de la cité. Nous sommes par l’exigence des débats que suppose le politique, par la mobilisation de la parole qu’il requiert à mille lieues de cette « police des normes » auxquelles tendent nos démocraties actuelles. Police des normes qui s’accompagne d’une transformation anthropologique de la fonction du langage, de l’impérialisme de sa valeur instrumentale, à prétention universelle, et de l’appauvrissement des valeurs mytho-poétiques de la parole et de ses particularités, de ses effets de vérité de son invitation à débattre.
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Croyez moi : si les hommes doivent travailler et produire dans l'usine de la science avant de parvenir à maturité, la science sera bientôt ruinée, de même que les esclaves trop tôt employés dans cette usine. Je regrette qu'il faille utiliser le jargon
des négriers et des patrons pour traiter de matières auxquelles l'utilité et le besoin matériel devraient rester étrangers, mais les mots "usines, marchés du travail, offre, productivité"- avec toute la terminologie usuelle de l’égoïsme - viennent inévitablement aux lèvres, lorsqu'on veut dépeindre la nouvelle génération de savants.
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Le numérique, comme « monnaie » universelle de notre civilisation, favorise énormément les dispositifs qui participent à la «financiarisation» de l’humain.
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Plus que jamais, l’urgence de l’actualité, le flux d’informations nouvelles dont elle se nourrit, ont fait chuter le cours de la mémoire, celui du sens, de l’histoire qu’incarnent les récits, leur circulation par le bouche-à-oreille en vue de constituer et de transmettre les vertus de sagesse et de vérités humaines.
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En perdant la valeur propre au langage, à la parole et au récit, c’est le monde que nous perdons, le monde que nous avons en commun, et auquel nous substituons un monde virtuel.
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Videos de Roland Gori (13) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Roland Gori
Né en 1953 à Fort-de-France, prix Goncourt en 1992 pour « Texaco », Patrick Chamoiseau est l'auteur d'une oeuvre narrative et théorique majeure où se mêlent imaginaire foisonnant et conscience politique. Les enjeux de la littérature contemporaine sont aussi au coeur de sa réflexion. Dans son dernier ouvrage « le Conteur, la Nuit et le Panier », il nous convie dans son atelier d'écrivain, observe les mystères de la création en mettant en lumière l'épaisse matière qui constitue l'oralité du conteur créole.
Au cours de ce grand entretien, Patrick Chamoiseau nous emmène à la Martinique, terreau fertile de son oeuvre, île où s'est inscrit en lui, très jeune, l'écartèlement entre le créole et la langue française, mais aussi tout le tragique de cette terre de souffrances qui porte l'histoire douloureuse des esclaves. Il revient sur ses lectures d'enfance, sa fascination pour les livres et les bibliothèques, son goût pour l'histoire, et s'attarde aussi sur des passions qu'on lui connaît moins : le dessin, la bande dessinée et la science-fiction. Il convoque, bien sûr, quelques-unes des grandes figures littéraires et intellectuelles qui le portent, Rabelais, Victor Segalen, Aimé Césaire et Édouard Glissant.
Patrick Chamoiseau dialogue avec le psychanalyste Roland Gori avec qui il évoque une autre forme d'esclavagisme, celle de notre société capitaliste dominée par un langage numérique, dont l'art et le conte pourrait être la porte de sortie. C'est la comédienne Yasmina Ho-You-Fat qui fait entendre sur la scène du conservatoire les textes de ce grand écrivain penseur de notre monde, que nous sommes heureux d'accueillir.
Un grand entretien animé par Gladys Marivat et enregistré en public le 29 mai 2022 au conservatoire Pierre Barbizet, à Marseille, lors de la sixième édition du festival Oh les beaux jours !
À lire : « le Conteur, la Nuit et le Panier », Seuil, 2021. « Manifestes », avec Édouard Glissant, éditions de la Découverte, 2021. « Frères migrants », Seuil, 2017. « Texaco », Gallimard, 1992. À écouter : « Baudelaire jazz. Méditations poétiques et musicales avec Raphaël Imbert », Seuil, 2022.
Podcasts & replay sur http://ohlesbeauxjours.fr #OhLesBeauxJours #OLBJ20
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