La voix de June est mon seul rempart contre les démons. La voix de June est tout ce qui se tient entre moi et l’abîme.
Pourtant, même si on dort mal, même si les nuits sont courtes, même s’il n’y a pas d’intimité, je suis bien, ici.
Ici, dans la voiture. Ici, dans un motel pourri. Ici, sans le courant dégueulasse du Mississippi. Parce que, « ici », ce n’est pas un lieu. « Ici », c’est n’importe où, tant qu’ils sont là - Kenna, Kurt, Finn et Nate. Ces gens qui m’estiment vraiment. Ces gens qui seraient prêts à tout pour moi, et pour lesquels je serais prêt à tout en retour. Ces gens qui me donnent un sentiment d’appartenance sans même en avoir conscience.
Ces gens qui me choisissent, et que je choisis moi aussi.
- Tu crois qu’il y a un monde, dans le multivers, où on se serait choisis ?
Lorsqu’il nous rejoint, il ne dit rien, ni à Jo et moi, ni à l’assistante sociale. Et, parce qu’elle le connaît par coeur, Jo fait un pas vers lui pour attraper sa main. Ce simple geste ébranle la carapace de Sam et, même s’il détourne la tête, je devine les larmes qu’il essaie tant bien que mal de contenir.
Sans hésiter, je l’attire à moi pou le prendre dans mes bras, et il se laisse aller contre mon épaule. Caché des gens qui nous entourent, il s’autorise à pleurer, et c’est une épreuve de ne pas m’effondrer à mon tour.
- Je suis désolé… Tellement désolé, murmure-t-il.
- Je te l’ai déjà dit, Sam, tu n’as pas à t’excuser.
Il ne répond pas, et je me contente de resserrer mon étreinte, de lui montrer par ma présence qu’il est mon frère, que je l’aime et que je serai toujours là pour lui, quoi qu’il arrive.
C’est elle qui rompt la distance entre nous, et je ne me dérobe pas. June me serre dans ses bras et j’ai la sensation d’enfin reprendre pied. Avec une seconde de retard, je l’étreins à mon tour. La chaleur de son corps réconforte mon âme - June est comme un pansement sur des blessures qui ne se voient pas.
Il hoche la tête avant de la détourner, les yeux brillants. Puis furtivement, je le vois essuyer une larme qui dégringole sur sa joue. Comme si elle était honteuse, comme si elle n’avait pas le droit d’exister.
Moi - Aujourd’hui, à 10h37
Tu sais, t’as le droit de dire que ça va pas.
Cette fois, ça y est, les ténèbres ont mis la main sur mon cœur. Leurs doigts sont longs comme la nuit, froids comme l'hiver et cruels comme la mort. Ils sont pleins de griffes acérées et, s'ils serrent, ce sera fini.
Enfant, on pense que nos parents sont comme des dieux, qu'ils sont immortels. Puis on comprend que ce sont simplement des humains, comme nous, mais il reste en eux une part de divinité qu'on ne parvient pas à expliquer.
Je t'ai toujours choisi, Thomas. C'est toi qui ne me choisis jamais.