Ces prières que je fais dans le noir

Comment avoir la foi alors que mon existence a déraillé et qu’il n’en reste rien sinon une carcasse accidentée et disloquée ? Finalement, mon point d’ancrage dans ce foutoir, ce n’est pas Dieu. C’est June.

Jamais, de toute ma vie, je n’ai eu le droit de choisir. Depuis toujours, ma famille me dit quoi faire, avec qui, où et quand. Je n’ai eu voix au chapitre ni sur mes options de cours ni sur mes activités extrascolaires. Mes amis ne sont pas bienvenus à la maison s’ils n’appartiennent pas à notre communauté. Ma mère décide de mes vêtements, qu’elle achète à ma place…
Comment ai-je pu croire que je pourrais choisir la fille dont je tomberais amoureux ?

Je ne sais pas pourquoi je fais ça, la laisser en « vu ». Ces derniers temps, plus que jamais, j’ai du mal à parler de moi - à parler tout court. Le nombre de notifications ne fait qu’augmenter sur toutes mes applications et, chaque fois qu’un nouveau message se rajoute aux autres, ça m’asphyxie un peu davantage.

Tout est étrangement calme et silencieux. Je ne comprends pas, parce que, à l'intérieur de moi, c'est un carambolage.

Mes sanglots me secouent si fort que je me demande si ce n'est pas une tentative désespérée de mon corps pour faire redémarrer mon cœur qui s'éteint, et je me dis que c'est peut-être pour ça qu'on pleure si fort, parfois : pour empêcher notre cœur de s'arrêter une bonne fois pour toutes.

Tu crois qu'il y a un monde, dans le multivers, où on se serait choisis ?

- Pourquoi n'as-tu jamais pu être le fils que je voulais? assène-t-elle encore.

J'ai envie de lui hurler que j'ai toujours tout fait pour être celui que cette famille réclamait que je sois, que je me suis tellement tordu pour rentrer dans leur moule que je ne me reconnais plus, que je ne sais même plus qui je suis !
Le portable encore collé à mon oreille, j'ai la main qui tremble et le cœur prêt à exploser.

C'est ma décision, Thomas. C'est moi qui choisis. Et je te choisis, toi.

Tous les deux sont en train de fumer en discutant tranquillement, mais ils s'interrompent en me voyant débarquer avec la gueule d'un pirate ayant manqué son abordage.

mon point d'ancrage dans ce foutoir, ce n'est pas Dieu. C'est June