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Critique de Eric75


Nous sommes en 2015 après Jésus-Christ, tous les rayons de la FNAC sont occupés par le 36e album d'Astérix… Tous ? Non ! On trouve encore une petite place pour caser d'autres « créations » récentes comme Bob Morane, Corto Maltese ou Ric Hochet, ressuscités sous la plume de nouveaux et talentueux scénaristes et dessinateurs. Mais c'est bien la sortie d'Astérix qui fait aujourd'hui l'actualité en occultant l'invasion de ces anciens héros à la démarche encore raide et hésitante, jaillissant du cimetière des BD oubliées aussi nombreux que les morts-vivants dans un clip de Michael Jackson.

On les attendait au tournant, Ferri et Conrad, après l'accueil plutôt mitigé du 35e album, Astérix chez les Pictes, encore bien maladroit. le succès d'estime de cette reprise allait-il faire place à une ovation dès la deuxième tentative ? La série pouvait-elle espérer reprendre son vol à des hauteurs frôlant l'Uderzone et la Goscinny-altitude ? Eh bien on y est presque, par Toutatis ! Et ce n'était pourtant pas gagné d'avance !

Le trait de Didier Conrad est en progrès et converge indéniablement vers celui d'Uderzo. Je soulignais la différence du traitement des vagues dans la critique du précédent album. La difficulté est ici évacuée, la mer n'est tout simplement pas représentée (même lors de l'épisode des pirates, page 16). Pour le reste, rien à redire, les vignettes grand format de la forêt des Carnutes (pages 31), du combat contre les romains (page 45) ou du banquet (page 48) sont des modèles du genre. le traitement du dessin de couverture, symbolique et au coloriage inachevé, reprend une idée déjà mise en oeuvre dans Astérix en Corse et le Domaine des Dieux. Nous sommes en terrain connu.

Le scénario de Jean-Yves Ferri n'est pas en reste. On retrouve enfin un scénario solide et consistant, prenant sa cohérence dans un thème de la société actuelle – ici la communication, la manipulation et les nouvelles technologies de l'information – renouant avec le succès et l'originalité des meilleurs albums de la série. Ce fil rouge est parfois cousu de fil blanc. J'ai trouvé par exemple un peu artificielle l'idée d'une transmission orale des récits gaulois qui devait passer obligatoirement par Archéoptérix pour parvenir jusqu'à notre époque. Cet épisode qui prend une grande place dans le récit est sans réelle nécessité pour le dénouement local de l'aventure, tout ça pour ça, et se conclut par une pirouette scénaristique en forme de post-scriptum. J'ai regretté l'inaction du colporteur Doublepolémix dans la résolution du conflit avec les romains, même si le fait de trouver refuge dans le village des irréductibles Gaulois rappelle à juste titre l'asile politique d'un Julian Assange réfugié dans l'ambassade d'Équateur à Londres. En revanche, l'exploitation d'un épisode inédit et censuré de la Guerre des Gaules, rédigé par César lui-même et mettant en péril la destinée de l'empire, est un véritable coup de génie. On se demande même comment Goscinny a pu passer à côté d'une telle idée, aussi lumineuse qu'évidente.

Cet épisode d'Astérix se lit presque comme une histoire d'espionnage, où il est question de secrets, de manipulation de l'information, de la face cachée de la Guerre des Gaules menée par les hommes de l'ombre. A partir de là, les références à l'actualité, comme dans tout bon album d'Astérix, sont multiples, on y trouve pêle-mêle des allusions à Julian Assange (Doublepolémix aurait d'ailleurs pu s'appeler Wikilix) et à Alfred Hitchcock, le maître du suspense spécialiste de la manipulation de l'information en temps de guerre, réalisateur de films comme L'Homme qui en savait trop (1934) et, faut-il le rappeler, Les Oiseaux (1963).

Avez-vous remarqué tous ces oiseaux ? le pigeon voyageur (pages 15 et 16) et l'aigle (page 33) utilisés pour transmettre des messages, le faucon (page 16) pour intercepter les messages (i.e. la NSA sous l'influence des « faucons » américains ?), l'archéoptéryx, l'oiseau-dinosaure évoqué par le druide Archéoptérix, les oiseaux bleus de Twitter (pages 26 et 40)… n'en jetez plus ! Les références ornithologiques sont omniprésentes dans l'album. Pas étonnant donc, qu'Alfred Hitchcock apparaisse en guest star (pages 24, 29 et 33) en tant que dresseur d'aigles, renouant ainsi avec la tradition des caméos de ses films !

Cet album fait intervenir d'autres personnages connus et caricaturés (mais plus difficiles à détecter) comme Franz-Olivier Giesbert et Jean Réno (respectivement en journaliste littéraire du Mundus et en légionnaire romain sur la piste du papyrus volé). J'ai cru reconnaître également parmi les invités de Promoplus, alias Jacques Séguéla, Philippe Tesson, chroniqueur littéraire et journaliste. Bref, le trombinoscope s'étoffe dans la plus pure tradition de la série.

L'autre attrait traditionnel des albums d'Astérix repose sur les jeux de mots, ici s'appuyant pratiquement tous sur les nouvelles technologies de l'information, thème central de l'album. Pour n'en citer qu'un seul (particulièrement réussi), rappelons l'extrait de dialogue suivant : « – Je viens pour la relève du pigeonnier… – installe-toi Antivirus. »

Vous l'avez compris, je suis fan de cet album qui a franchi une étape supplémentaire dans l'entreprise de résurrection du moribond Astérix. La potion s'avère plutôt magique qu'amère, merci à Ferri et Conrad de maintenir dans les prochains numéros le même niveau de qualité, et pourquoi pas de parvenir à le dépasser, ils ont montré cette fois qu'ils en étaient capables.
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