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Critique de ego_lector_


Sentir l'intensité de l'instant. Celui qui précède dans le cimetière de la lande rase, celui qui s'étire dans la tourmente nocturne de la tempête qui fait rage ou celui qui s'abandonne dans l'écume des vagues ou sur la mousse contre un arbre, proche de l'onde enténébrée, celui qui se perd dans les méandres d'un château habité plus qu'habitable :

« un esprit exercé ne pouvait voir là qu'un raffinement de la fatalité qui leur prodiguait ces traîtreux réconforts comme le vin mêlé d'épices et d'aromates dont on fortifie le corps des suppliciés pour redoubler en eux l'acuité de nouvelles tortures et leur en faire pénétrer jusqu'au fond les poignantes délices. Dans l'après-midi une torpeur que le soleil faisait peser sur les cours et les appartements du château annonçait à leurs nerfs aiguisés par l'attente le prélude d'un jeu mortel. »

Les ingrédients du roman gothique sont là : le château témoin d'une majesté passée isolé par l'insondable forêt, l'imminence d'un péril mortel, des lieux appesantis de solitude, «une horloge de fer [...] le bruit grinçant et régulier de son mécanisme, qui ne pouvait au milieu de ces solitudes se rapporter en quoi que ce fût pour l'âme à la mesure d'un temps vide en ces lieux de substance » – Baudelaire ou Poe ne sont jamais très loin – .

La beauté fatale de Hyde semble nouer l'intrigue. Herminien est son amant. A moins que ce ne soit Albert ? Peut-on croire à l'existence d'Herminien ? ou bien Albert et Herminien se confondent ? La sensualité de l'écriture – au sens premier du terme – rend certains passages d'un érotisme troublant, et le point de bascule vers l'insoutenable n'est pas toujours repérable au moment où il est franchi.

1938. Voilà, le premier roman de Gracq dont lui-même n'avait pas idée une heure avant de l'écrire, et pourtant. Tout ce qu'il développe plus tard est là. Les phrases à la respiration lente et le vocabulaire sophistiqués font de Gracq un auteur « à part » mais selon moi le trouble vertigineux dans lequel nous plonge ce roman fasciné en vaut la peine, comme une expérience de lecture elle aussi, à part.
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