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Critique de gerardmuller


Au Château d'Argol /Julien Gracq
Albert sur le conseil avisé de son meilleur ami vient d'acheter sans l'avoir jamais visité le petit château d'Argol en Bretagne et tandis qu'il chemine lentement sur le sentier tortueux y menant, il savoure étrangement l'angoisse naturelle du hasard.
Albert est le dernier rejeton d'une famille noble et riche et a vécu toute son enfance entre les murs solitaires d'un manoir de province. le démon de la connaissance s'est rendu maître depuis longtemps de cet esprit curieux. Figure angélique et méditative faite pour pénétrer les arcanes les plus subtils de la vie, il passe pour dédaigner les femmes et consacre son temps à la recherche philosophique. Hegel est son idole.
le château se dresse à l'extrémité d'un éperon rocheux et domine une solitude sylvestre tout alentour qui parait à Albert triste et sauvage telle un bois dormant dont la tranquillité absolue étreint son âme. Dès la visite intérieure il remarque que la plus grande partie des salles et les aîtres en général semblent dépourvus de toute destination précise et lui procurent une sensation bizarre de malaise, simplement meublés de cathèdres de chêne. le sol est jonché de fourrures en abondance d'once et d'ours blanc.
le chapitre descriptif évoquant le château et son environnement est sublimement écrit par Julien Gracq dont on ne vante plus la qualité et la beauté inégalées du style.
Peu à peu une ambiance de vacances s'installe et Albert se laisse aller au charme de cette demeure étrange tout en se consacrant à la logique hégelienne, la Bretagne lui prodiguant toutefois ses séductions pauvres, ses fleurs humiliées, ses genêts, ses ajoncs, ses bruyères couvrant les landes.
Surviennent deux visiteurs attendus, Herminien son ami le plus cher qui étonne toujours par une singulière aptitude à percer à jour les mobiles les plus troubles de la conduite humaine, et une certaine Heide qui en une seconde peuple tout le château de sa radieuse et absorbante beauté. Albert ignore tout de la nature des rapports entre Herminien et Heide. Et il va aller de surprise en surprise quand Heide s'approche de lui…
« Les solitudes qui environnaient le château se refermèrent vigilantes sur les hôtes dont le séjour parut très vite devoir revêtir une durée indéfinie… »
Confortablement installée Heide « se repaissait avec une inconscience animale de l'air vif et exaltant et de la pureté des eaux vives », avec Albert en point de mire paraissant revêtir une robe de fraîcheur et d'innocence.
La présence d'Albert lui semble s'élargir aux limites extrêmes de son domaine enchanté après que le premier soir sur la terrasse elle lui a donné un baiser dont l'audace la plonge encore dans une parfaite stupéfaction.
Une force irrépressible pousse Heide et Albert l'un vers l'autre, Heide s'abandonnant comme une esclave soumise, « élevant vers lui comme une prière les trésors d'un corps qui lui est entièrement dévoué. » Mais Albert, insensible , méprise un triomphe pour lequel il n'a pas combattu tandis qu'Herminien espionne la belle séductrice suivant de l'oeil et de la pensée chacun de ses pas et s'interroge , ignorant la pauvreté extrême des sentiments d'Albert pour Heide, livré qu'il est chaque soir à une imagination destructrice.
L'hallucinante séquence du bain de mer à trois, nus, est révélateur de ce jusqu'où sont capables d'aller dans l'autodestruction les trois personnages.
Puis vinrent les jours de longues pluies bretonnes s'abattant sur Argol frappant d'un lourd désoeuvrement les hôtes du château, la parole se faisant rare et peu significative. On s'évitait avec persistance, le malaise planait… Lorsque réapparurent les rayons du soleil ouvrant toute grande la forêt et ses embûches aux trois hôtes d'Argol, Albert solitaire s'enfonça dans les halliers bordant le ruisseau et allongé glissa dans une profonde rêverie avec cependant la sensation indéfinissable et prochaine d'un danger…L'enchantement avait disparu et soudain il crut voir l'impensable au bord du ruisselet. Fantasme ou réalité ?
La mort rôde autour du château et même dans le château et tout trois vont y être confrontés dans un final assez violent, la haine alternant avec l'amour, avec le thème de Parsifal en toile de fond.
Ce roman surréaliste paru en 1938 est le premier du genre et le premier roman de Julien Gracq. Et déjà le style extrêmement travaillé et poétique fait merveille tout au long de ce dédale de situations étranges et surprenantes et préfigure la vague gothique. La violence des sentiments est rarement explicite et le lecteur devra lire entre les lignes de ce qui est suggéré. de longues descriptions en harmonie avec les sentiments des personnages parcourent ce récit au caractère onirique. Pas de dialogue . Sont ici posées les premières pierres qui permettront l'écriture du Rivage des Syrtes dix ans plus tard, le chef d'oeuvre de Julien Gracq.



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