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Critique de VincentGloeckler


Après « Z comme zombie », un de ces récits-essais dont Iegor Gran s'est fait la spécialité et dans lequel il dénonçait, avec autant de lucidité que de férocité, le triste état mental de la population russe, soumise plus que jamais après l'invasion de l'Ukraine au déni de réalité et à la plus aliénante des propagandes, l'auteur nous offre, armé de cette ironie mordante qu'on lui envie, le portrait croisé de deux femmes russes, espionnées pendant plusieurs mois sur Twitter. Deux femmes franchement bavardes, comme le souligne le titre, multipliant les publications, s'indignant sur ce réseau social (elles sont d'ailleurs des privilégiées, ayant réussi à conserver la possibilité d'y avoir accès, tant cela est difficile, comme l'indique l'auteur, dans ce pays où toutes les communications sur la toile sont contrôlées de près) de tout ce qui les choque, et parfois y poursuivant leurs quêtes amoureuses… Svetlana est assistante dans une école maternelle de la banlieue de Nijni-Novgorod, quand Elena travaille, elle, comme contrôleuse de ticket de tramway à Perm. Deux femmes provinciales, donc, aux revenus modestes (elles sont parfois obligées de faire la quête auprès de leurs « amis » du réseau pour soigner une dent ou payer une contravention), la quarantaine et célibataires, mais les ressemblances s'arrêtent là! Car Svetlana se fait la chantre du pire nationalisme, défendant Poutine et sa guerre, refusant mordicus tout témoignage qui pourrait contredire cet amour insensé de la Russie belliqueuse, mais Elena, au contraire, bravant tous les dangers liés à ces prises de position contestataires (elle subira, d'ailleurs, le châtiment de ce courage) s'insurge contre la guerre et tout ce qui, conséquence de la politique du dictateur russe, rend son quotidien plus compliqué et moins humain… Un texte « où tout est vrai », un texte poignant dans lequel Iegor Gran ne peut s'empêcher d'avouer sa préférence pour Elena, toute la tendresse qu'il éprouve pour celle qui a réussi à préserver « le regard humaniste qui a déserté la Russie ». Au-delà du plaisir que l'on ressent à retrouver la causticité allègre d'un auteur que l'on suit avec affection depuis ses premiers romans, on ne peut que partager cet engagement pour la paix et la sortie du « malheur russe », avec l'espoir d'une reconquête de la dignité pour tous les citoyens de ce pays. Et, puisqu'il a de qui tenir, signalons la réédition de « André-la-poisse » et « C'est bien écrit ! » (aux Editions du Typhon), deux livres plein d'esprit et de satire d'Andreï Siniavski, écrivain et dissident russe sous Kroutchev et Brejnev (et, accessoirement père de Iegor Gran), auquel son fils rend un vibrant hommage dans leurs préfaces. Dans la famille Siniavski, demandez à la fois le père et le fils, vous ne le regretterez pas !
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