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Critique de Presence


Ce tome comprend les épisodes 1 à 4 d'une série lancée en 1992, et qui forment une histoire complète. Elle est écrite par Alan Grant, dessinée et encrée par Norm Breyfogle, mise en couleurs par Adrienne Roy, avec des couvertures de Brian Stelfreeze.

Les prisonniers enfermés à l'asile d'Arkham sont transférés dans un autre établissement, le temps que les travaux de modernisation soient effectués. Jeremiah Arkham (le neveu d'Amadeus Arkham, le fondateur de l'asile) supervise le chantier exécuté par l'entreprise de M. Hiram. Il s'assure que toutes les vieilleries (vestige du passé) sont détruites, à commencer par les journaux d'Amadeus Arkham. Une fois les travaux achevés, les prisonniers réintègrent l'asile d'Arkham (sans évasion, fait rarissime), et Jeremiah Arkham peut mettre en oeuvre ses méthodes de thérapie, de nature coercitive et même brutales. Il est convaincu que les pensées sont assujetties au comportement. En imposant un comportement "normal" (y compris par la force si nécessaire), les pensées suivront et les patients seront sur le chemin de la guérison. Parmi les patients bénéficiant de son suivi personnalisé, se trouvent Cornelius Stirk, Everard Mallitt, Jonathan Crane (Scarecrow), Aaron Helzinger (Agmydala), et Victor Zsasz. L'établissement accueille également un autre malade cagoulé (et enchaîné pour son bien) qui bénéficie également d'un suivi personnalisé et d'une bonne dose de brutalité pour le remettre sur le droit chemin : Batman.

En février 1988, dans le numéro 583 de la série "Detective comics", Alan Grant (scénariste) et Norm Breyfogle (dessinateur) s'installent durablement pour des histoires de Batman plus noires que celles de leurs prédécesseurs. 4 ans plus tard, leur inspiration ne s'est pas tarie, et les responsables éditoriaux de DC Comics décident de s'appuyer sur cette équipe créatrice régulière pour lancer une nouvelle série consacrée à Batman : "Shadow of the bat".

Dès que le lecteur aperçoit "Arkham" dans le titre, il pense à Arkham asylum de Grant Morrison et Dave McKean, paru en 1989, un récit plongeant dans la folie meurtrière des pensionnaires de l'asile, jouant sur l'angoisse psychologique et la déviance dégénérée des comportements sadiques, avec une imagerie redoutable et adulte. Alan Grant n'est pas Grant Morrison et Norm Breyfogle ne joue pas dans la même cours que McKean, et de loin. le lecteur plonge dans un comics des années 1990, pas encore déformé par le clonage des styles de Jim Lee et Rob Liefeld, avec encore un pied dans les années 1980. En particulier les couleurs comprennent encore des teintes de la décennie précédente, entre les jaunes vifs, les rouges pétants et les bleus clairs que plus personne ne penserait à utiliser de nos jours, un vestige d'une époque où la technologie ne permettait que de disposer des 4 couleurs primaires.

Le scénario comporte lui aussi des vestiges d'une narration à destination d'un public plus jeune que ce soit Batman enfermé et conservant sa cagoule (le docteur Arkham étant persuadé qu'il l'enlèvera de lui-même une fois qu'il sera guéri), ou une évasion rocambolesque pendant laquelle Batman échappe aux systèmes de détection grâce à sa cape doublée d'aluminium. Il en va de même pour les dessins qui restent parfois dans un registre enfantin, que ce soit les expressions de surprise systématiquement exagérée, ou les passages secrets à l'apparence simpliste et naïve. Grant et Breyfogle ont donc encore tendance à aménager leur narration pour un public jeune. Lorsque le lecteur découvre Batman enfermé à Arkham, il comprend immédiatement qu'il s'agit d'une mise en scène et le dessin le montrant avec sa cagoule préservant son incognito met surtout en évidence un dispositif artificiel évitant aux créateurs de trouver une solution plus plausible mais plus difficile à imaginer.

Pourtant, même pour un lecteur contemporain, ce récit dégage aussi une sensation de vénéneuse et malsaine destinée à un public plus âgé. Cela commence avec la découverte de la maltraitance des prisonniers, des brutalités où le lecteur peut voir la souffrance des individus, infligées en toute connaissance de cause par les gardiens. Les dessins de Breyfogle avec des mouvements souvent accentués par des lignes de fuite exagérées (un peu à la manière de Carmine Infantino) augmentent la sensation d'angoisse de la victime et la force de l'impact des coups. le personnage de Victor Zsasz apparaît pour la première avec cette histoire. Alan Grant a le chic pour prendre un concept simple (un tueur en série dépourvue d'empathie et s'infligeant une cicatrice à chaque meurtre) et pour en faire un personnage abject répugnant, et inquiétant, du fait de son comportement contre nature. À nouveau l'exagération des dessins de Breyfogle et la mise en scène de l'ascendant psychologique de Zsasz sur Jeremiah Arkham étoffe le personnage au-delà du simple cliché. Les meurtres qu'il commet mettent mal à l'aise dans leur crédibilité et les souffrances qu'ils génèrent. Grant prend soin de montrer les conséquences de ces morts sur leur entourage. le récit n'est déjà plus dans le simple coup de couteau dramatisé, avec le coupable arrêté à grand renfort de coups poings, sans blessures apparentes. Si Grant et Breyfogle ne se vautrent pas dans le sensationnalisme, ils réussissent à mettre en scène des crimes effrayants dans leur banalité et leurs conséquences.

En regardant de plus près, le lecteur se rend également compte que les créateurs sont plus finaux qu'ils n'en ont l'air. Alan Grant évite l'écueil de raconter une histoire 100% superhéros. Il y a bien une apparition de Robin, et une participation active de Nightwing, mais l'aspect superhéros se limite surtout aux costumes un peu voyants. Pour le reste, leurs actions relèvent de personnages d'aventure traditionnel, pas de superpouvoirs. Les individus normaux tiennent une place aussi grande que Batman et même plus. Il faut attendre le milieu du premier épisode pour voir apparaître le premier héros costumé. Breyfogle s'avère très doué pour dessiner des individus normaux expressifs et plausibles. Il sait tout aussi bien insérer quelques images iconiques de Batman ou de Nightwing pour donner sa dose de superhéros au lecteur (en particulier Batman en train de pauser, ou un gros plan sur ses yeux sans pupilles dans un masque tout noir). Lors des scènes d'action, il insuffle du mouvement grâce à ces lignes de fuites, des angles de vue penchés et une forme de représentation qui fait parfois penser à Gene Colan, ainsi qu'un découpage de cases en trapèzes s'écroulant les unes sur les autres dans un mouvement impressionnant. Enfin Breyfogle et Grant glissent un ou deux moments de comique sarcastique tel Zsasz laissant tomber sa couverture pour apparaître nu comme un ver de manière frontale... avec un phylactère masquant ses bijoux de famille.

"The last Arkham" est un bon témoin de son époque, dans une phase de transition pour les comics qui s'éloignent de leur public initial d'enfants, pour cibler un public d'adolescents plus âgés et de jeunes adultes. Alan Grant et Norm Breyfogle ont conservé quelques uns des tics spécifiques aux comics d'antan, mais ils ont déjà introduit une dimension beaucoup plus adulte et plus glauque. le tueur en série Zsasz n'a rien de drôle, et son intensité dépourvue d'empathie fait froid dans le dos. Quelques années plus tard, ils développeront un personnage secondaire de la série Batman : Anarky.
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