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Critique de Charybde2


Le double récit de l'effondrement d'un homme et d'une civilisation par incapacité à aimer

Publié en 1981 (et en 2000 en français chez Métailié), le premier roman d'Alasdair Gray est de ces oeuvres "coups de tonnerre" qui marquent l'histoire de la littérature. Mosaïque complexe, mêlant des registres narratifs extrêmement différents, et pourtant gardant toute sa lisibilité, "Lanark" se compose de quatre livres, présentés dans l'ordre 3-1-2-4, d'un interlude et d'un épilogue (situé... 65 pages AVANT la fin).

Le livre 3, récit aux confins du fantastique et de l'onirique, a pour protagoniste Lanark, amnésique se découvrant soudain dans la ville d'Unthank, sombre et désenchanté démarquage du Glasgow des années 70, dont les habitants, pourtant soutenus par un welfare state absurde par moments et sans doute déjà presque exténué, développent d'étranges maladies métaphoriques, qui les tuent pourtant tout à fait réellement. Affligé de la "peau de dragon" (dans laquelle le malade se recouvre progressivement d'une carapace jusqu'à mourir à l'intérieur de celle-ci, coupé du monde), Lanark parvient à atteindre l'Institut, gigantesque hôpital en charge du traitement de ces affections, avec un faible taux de succès il est vrai. Sauvé malgré tout, un "oracle", financier repenti, tente alors de lui rendre le récit de son passé...

Les livres 1 et 2 composent le récit de l'oracle, racontant la vie du jeune Duncan Thaw (qui POURRAIT donc être Lanark - sans qu'il y ait certitude) sous la forme d'un "classique" et passionnant roman d'apprentissage, dans lequel l'enfant écossais de la Seconde Guerre Mondiale tente de devenir un artiste reconnu, avant d'échouer plutôt misérablement.

Le livre 4, récit fantasmagorique du retour de Lanark, de l'Institut à Unthank, le voit tenter désespérément d'atteindre une sorte de bonheur personnel tout en sauvant la ville d'Unthank du sombre destin qui lui semble promis, alors que désormais la "créature" (le capitalisme libéral débridé) se déchaîne partout...

Soixante-cinq pages avant la fin, donc, l'extraordinaire épilogue voit la rencontre de Lanark avec son auteur, qui lui expliquera à la fois certains tenants et aboutissants de son histoire, tout en indiquant avec précision ses sources, ses emprunts, ses plagiats et ses "non-plagiats", pour un moment vertigineux de technique littéraire, renvoyant d'ailleurs explicitement au Kurt Vonnegut du "Breakfast du champion"...

Résonnant puissamment de Kafka, de Cortazar, de Joyce, de Vonnegut, ou encore de Mervyn Peake et de William Blake, influence majeure reconnue par Iain Banks, cette oeuvre essentielle d'un romancier qui est aussi un grand artiste plasticien nous confie avec magie le double récit et le feu d'artifice métaphorique de l'effondrement d'un homme et d'une civilisation par incapacité profonde à aimer.
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