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Critique de Polomarco


Pendant la seconde guerre mondiale, en 1942, Henry Scobie, officier de police, vit dans un port de Sierra Leone avec sa femme Louise. Dans ce comptoir britannique rongé par la chaleur, la pluie, les moustiques, la corruption, les ragots parmi les colons, et le whisky pour oublier le tout, il se désole de ne pas rendre la joie de vivre à sa femme, que la mort de leur fille unique, quelques années plus tôt, a rendue dépressive. Tant d'années de mariage ont eu raison de leur passion et l'amour qu'ils se portent l'un à l'autre se dissout peu à peu.

Comme Louise ne supporte plus la vie de la colonie, il finit par accepter qu'elle parte pour l'Afrique du Sud, où ils ont des amis. Mais la banque refuse de lui prêter le prix du trajet : «Il avait demandé de l'argent, on le lui avait refusé. Louise aurait mérité mieux. Il lui semblait, obscurément, qu'il avait failli à sa mission d'homme» (Livre premier – 1ère partie – chapitre II – I – page 69). A contrecoeur, il emprunte cet argent à un commerçant syrien peu scrupuleux, Yusef.

Scobie se retrouve seul. En l'absence de Louise, il fait la connaissance d'Helen Rolt. Jeune passagère rescapée du naufrage d'un navire torpillé par les allemands, elle y a perdu son mari. D'abord saisi de compassion, Scobie tombe très vite amoureux de cette femme : «Scobie n'oublia jamais comment elle était entrée dans sa vie» (Livre deuxième – 1ère partie – chapitre premier – II – page 180). Les choses se compliquent : homme de foi, catholique, soucieux de faire le bien, Scobie se retrouve déchiré entre son épouse et sa jeune et récente maîtresse. le lecteur comprend ici le fond du problème : quel sera le choix de cet homme tiraillé entre le devoir et la passion ? Son honnêteté et sa foi vont être mises à l'épreuve, par les deux femmes, mais aussi par les personnes qu'il côtoie dans ce comptoir.

Quand Louise revient du Cap, elle sait que son mari l'a trompée. Mais, pour donner un nouveau départ à leur vie conjugale, elle lui demande d'aller, le dimanche suivant, communier avec elle. Scobie est incapable de choisir entre son épouse et sa maîtresse. Amoureux des deux femmes, profondément humain et détestant faire souffrir, il doit composer avec sa foi catholique et devient la proie d'un tourment intérieur qui le ronge, d'autant plus que Yusef a surpris sa liaison : «Oh, mon Dieu, faites-moi mourir avant que je ne sois l'instrument de leur malheur» (Livre deuxième – 3ème partie – chapitre premier – III – page 292). Pour éviter de manger le Corps du Christ en situation d'adultère, Scobie ne voit pas d'autre solution que le suicide : «Comme tout deviendrait plus facile pour elle si j'étais mort» (Livre troisième – 2ème partie – chapitre premier – I – page 391).

Cependant, la dernière parole de Scobie : "Mon Dieu, Seigneur, bien-aimé, je..." montre qu'au moment ultime, Scobie se remet dans les mains du Seigneur en poussant ce cri d'amour.

L'auteur restitue à merveille l'atmosphère suffocante de ces régions tropicales : «Le ciel était lourd d'une pluie qui ne tombait pas» (Livre premier – 2ème partie – chapitre premier – III – page 114). Les coloniaux s'y épient, médisent à longueur de temps et, finalement, adoptent des conventions hypocrites qui leur permettent de se supporter les uns les autres.

Et puis, chez Graham Greene, on n'y échappe pas : le Major Scobie, son personnage principal, est croyant. C'est un vrai croyant, qui va à la messe, qui communie, qui croit au châtiment éternel et qui prie au pied de son lit. Si bien qu'avec lui, les questions de la souffrance et du mal dans le monde prennent une dimension transcendante. Les problèmes qu'il affronte sont ceux qu'un athée ne connaîtra jamais. Il se sent de plus en plus isolé, soumis au jugement des autres et à son propre jugement, seul devant sa conscience, seul avec ses remords...

Ce roman prend place parmi les grands ouvrages de Graham Greene. Il mêle la réflexion sur la mort, le doute affectif et religieux, le combat du devoir et du salut personnel. Scobie est un être à la fois faible, en cédant aux tentations de la compromission et de l'adultère, et fort par sa dignité face à la maladie et par son désir d'épargner sa disgrâce à Dieu, avec lequel il entretient un profond dialogue intérieur. On y retrouve des questionnements communs à Stefan Zweig, dans la Pitié dangereuse.

Sur fond de magnifiques paysages africains, Graham Greene, l'un des plus grands auteurs britanniques du XXème siècle, excelle à décrire des atmosphères désespérantes, où les héros se dépêtrent dans des situations impossibles. Sondant ses personnages jusqu'au tréfonds de leur âme, il conjugue ici la foi et le doute, et touche au sublime. Un grand classique de la littérature, un modèle d'écriture et de construction romantique. Un livre qui touche le fond du problème de la conscience humaine, auquel finalement, personne ne peut échapper. Un chef-d'oeuvre.

(Les citations sont extraites de l'édition Livre de Poche de 09/1971).
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