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Critique de fulmar


fulmar
29 décembre 2023
Bye-bye, les oiseaux que j'aimais,
ça se vide dans les rues.
Bye-bye, rendez-vous à jamais,
Les espèces disparues.

C'était une vaine espérance,
C'était une ultime errance,
Et le dernier grand pingouin est tombé…

Eddy, eh dis, c'est le dernier, le dernier billet de l'année.
Le dernier, demain c'est le dernier, le dernier jour de l'année.
On va tourner la page, et rester sage, même si on a la rage,
et on va continuer à faire semblant, pour faire sans blanc.
Faut pas s'arrêter, de s'agiter, pour ne pas entendre le silence,
cher à Rachel, car sonne l'heure de la sixième extinction.
Mais non, pas encore, il reste du temps, fais un effort et attends.
Combien de jours et de nuits, ça fait combien de dodos ?
Ah, euh, y'en a plus, désolé, eux aussi ont disparu…

Alors, comme ça, il est parti, il a quitté la banquise, il avait vachement chaud.
Mais pas du tout, c'était il y a presque deux siècles, il faisait encore très froid.
Alors, il a chuté sur la glace, il s'est luxé les pôles, surtout le nord.
Encore non. Au nord, y' avait les cor – mourants, un massacre, une hécatombe, une opération bébés phoques avant l'heure, mais c'est pas pour la graisse, qu'ils l'agressent, le grand pingouin, c'est pour la chair et les oeufs, ils ont fait comme chez eux, les pêcheurs, comme avec les crabes ou les bulots, c'est facile et ça peut rapporter gros, on assomme et on ramasse, en somme on fait d'la place, mais c'est pas du boulot.

« Quand les tueurs se relevaient, ils emportaient les pingouins flasques, la tête coincée dans leurs poings, les jetaient sur un tas, et l'on pouvait distinguer les deux taches blanches entre leur bec et leur oeil, comme des papillons posés sur la charogne ».

Lorsqu'il était sur la grève, il se mettait en pause, comme s'il faisait grève, en mode ponte et couvaison, quand c'était la saison. Il était maître-nageur, très à l'aise en plongée, mais faire un casse, fallait pas y songer, aucune menace, il était piètre voleur. Et c'était bien là son drame, aucune échappatoire, quand le crime se trame, direct à l'abattoir. Incapable de fuir, avec ses ailes atrophiées, trop facile de lui nuire, y pouvait pas s'méfier.
Erreur de la nature, qui fait parfois des ratures, car rester sur le bord l'a condamné à mort. Les pêcheurs avaient péché, et à trop se gaver, ne purent se faire pardonner. Instaurer des quotas, ça n'existait pas, vu qu'il n'était pas le roi des airs, ce devint le désert.
Et les manchots, me direz-vous ? Ils eurent plus de chance à l'autre pôle,
« on dirait le sud, le temps dure longtemps, et la vie sûrement, plus d'un million d'années.. »

Sibylle Grimbert, sous couvert d'un récit romancé, nous conte l'histoire du dernier grand pingouin, ou présumé tel. La relation qu'elle invente entre l'ultime oiseau plongeur et un scientifique humain rêveur, aux fabuleuses îles Féroé, lui permet de construire une aventure poétique, une quête de l'extrême, en essayant de repousser la mort, la disparition qui signifie l'extinction d'une espèce animale.
Entre l'homme Gus et l'oiseau Prosp naît une complicité qui prend des proportions absolument inédites. Comme pour le vieux Bolivar et le jaguar amazonien de Sepulveda, comme pour le vieil homme et le poisson d'Hemingway, la dualité qui s'instaure entre les deux protagonistes, l'humain et l'animal, est si profonde qu'elle annihile toute rationalité et élude la moindre explication scientifique. Nous sommes ici dans l'allégorie de l'homme face à son destin, une espèce qui s'éteint et tout le monde chavire.

Elle régresse
Son espèce,
N'est plus prospère
Et désespère.
En détresse
Elle cesse,
Et Prosp'erre…
Dans l'amer !

Une bonne dizaine d'années de complicité réciproque, avec des départs et des retours, chercher les siens, retrouver l'humain bienfaiteur, une quête désespérée, jusqu'au bout du destin.

« Un instant, en se souvenant de Prosp, Gus pensa qu'il aurait aimé lui expliquer ce qui lui arrivait, à lui, le grand pingouin. Il se serait excusé de l'avoir mis dans cette situation d'être encore vivant quand tous les siens avaient disparu ; il se serait excusé de ne pas lui avoir trouvé une compagne quand cela était encore possible, de l'avoir ainsi transformé en ce vieillard irascible qu'il était devenu et qui, pour le punir, l'avait quitté ».

C'était bien sûr sans issue, une relation vouée à l'échec, à une époque où l'on ne pouvait envisager l'extinction d'une espèce.
Domestiquer pour sauver, je ne peux m'empêcher de penser à l'oeuvre de Gérald Durrell, le naturaliste britannique frère de l'autre, dont l'enfance à Corfou le fit plus tard regrouper en un « zoo » à Jersey les espèces menacées qu'il découvrit lors de ses voyages naturalistes.
C'était un siècle plus tard, à mi-chemin entre le dernier grand pingouin et le monde actuel.
Cinq décennies ont passé depuis le décret de protection des rapaces, les vautours repeuplent le ciel des causses, des espèces ont été sauvées.
On a enfin compris qu'il faut préserver le milieu naturel pour maintenir la biodiversité. Il semble qu'on s'y soit pris très tard. Trop ?

Ce petit livre est un appel à reconsidérer notre rapport au vivant, une touchante douceur dans un monde de brutes.
Une magnifique façon de finir l'année, avant de changer le calendrier.


Il s'est taillé le grand pingouin
Un costard noir et vêtement chaud.
Tu ris, carnage des gros sagouins,
Plus la peine de faire d'exquis mots...

Prosper, yop la
BOUM !
… ce fut le dernier des siens.
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