Le sujet de la psychose naissante peut changer instantanément le sens de ce qui lui arrive comme il peut changer d’interlocuteur, ce que ne peuvent pas faire les individus en face de lui et encore moins les institutions.
Les psychiatres comme les patients espèrent toujours ramener leur interlocuteur à des idées plus saines mais sachant qu’ils ne pourront y parvenir, ils réifient la maladie mentale dans des montages délirants.
L’essentiel de notre expérience du social s’exprime dans une neutralité indifférente et continue qui reste silencieuse parce qu’elle n’a besoin ni d’être fuie, ni d’être désirée et, en un mot, d’être pensée.
Ce lien [du psychotique] à toute l’espèce humaine baigne, dès le premier contact, dans un horizon illimité. Il est infiltré d’éléments situés hors de la sphère humaine, touchant à la nature, à la science, au temps, au cosmos, à la magie, etc.
Le mécanisme fondateur de la psychose est […] présent et l’est dès le départ. Il a déjà produit la différence majeure et originelle, il a rendu ce sujet différent de tous, permis de le repérer publiquement très tôt et de le subtiliser au regard des autres.
Selon nous le patient en expérience centrale, celui que l’on dit « complètement fou », est alors effectivement complètement quelque chose. On ne peut escamoter ce « complètement » en sa rudimentaire rudesse. Il n’est pas sans signification.
En substituant au discours initial du malade, parfois quasi inexistant ou désordonné, une pratique basée sur un corpus de connaissances qui ne le concerne pas ou pas encore, on engendre par le jeu même d’anticipations morbides, les distorsions logiques et le très perceptible sentiment de malaise qu’éprouvent des tiers non soignants, lorsqu’ils sont témoins de cette première rencontre entre un psychiatre et un psychotique.
Le psychotique est devenu un être public.
Le sujet ne se passe plus des autres et le degré d’autonomie qu’il proclame est lié à l’intensité même de leur présence.
Cette phase naissante de la psychose n’a d’autre expression que des gestes ou des mots traduisant des interactions particulières avec des personnes, des lieux, des objets. Elle se transmet cependant intensément à travers des échanges de regards, de sourires, de frayeur et de questionnement muets.