AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Dandine


Eva Panic, une revolutionnaire juive yougoslave qui a eu une jeunesse mouvementee, tourmentee, jusqu'a son installation, a un age relativement avance, dans un kibboutz israelien. Danilo Kis (encore lui? Je le rencontre partout. Il me subjugue. Lisez-le, bon sang!) lui avait consacre un documentaire avec le realisateur Aleksandar Mandic: “Goli zivot" (que je n'ai pas vu). Et maintenant David Grossman en fait l'heroine d'un livre. Ou plutot Grossman se sert d'elle et de son histoire, car son livre a plus d'une heroine. Trois en fait. Eva, ici appelee Vera, sa fille Nina, et sa petite-fille Guili.

Trois generations de femmes. Trois revoltees, trois combattantes, chacune a sa maniere. Trois memoires differentes qui cherchent a se comprendre. Trois memoires en guerre, chacune contre une autre, des fois contre les deux autres. Toutes contre une et une contre toutes. Et entre elles un homme, qui les aime toutes, qui essaye de les apaiser.

Trois generations de femmes. En une histoire familiale qui, mutatis mutandis, a l'air de se repeter. Les meres abandonnent leurs filles et les filles couvent longtemps une colere qui devient hargne. Et elles s'eloignent. Mais pour le 90e anniversaire de Vera arrive a l'improviste sa fille Nina, annoncant qu'elle est malade, en phase terminale, et demande a son ancien mari et a sa fille, tous deux cineastes, de recueillir les souvenirs de Vera et ses souvenirs a elle, sinon pour comprendre, au moins pour laisser une trace. Et ils partent ainsi tous quatre pour ce qui avait ete la Yougoslavie.

Trois femmes s'engagent alors dans un periple vers leur passe. Vera, l'ancienne partisane, qui a prefere abandonner sa fille et etre emprisonnee trois ans dans le camp de travaux forces pour femmes de Goli Otok plutot que de signer un papier noircissant la memoire de son mari assassine par les sbires de Tito. Nina qui s'est jetee par defi dans des lits d'hommes qui la meprisent et l'avilissent avant de tout lacher et se clauster dans une ile perdue dans le grand nord. Guili, qui a du mal a s'attacher et ne veut surtout pas enfanter de peur de reiterer l'histoire, la “tradition" familiale de l'abandon.

C'est un periple vers l'inconnu. Vers les memoires blessees, estropiees, des trois femmes. Pour devoiler une certaine verite? Les actes etouffes qui ont provoque l'incomprehension, l'eloignement? Plutot pour comprendre les blessures, qui ont engendre des silences, qui ont a leur tour engendre de nouvelles blessures. A qui la faute? Mais y a-t-il faute? Un trop grand amour, l'exasperation de l'amour a amene cette famille non seulement a l'aversion mais jusqu'a la haine, avec toute sa ferocite. le voyage vers les rivages ou tout a eclos peut-il aboutir a l'expiation? Au rachat? Au pardon?

Grossman n'est pas un optimiste aveugle, mais il croit encore, against all odds, a la possibilite de redemption. Et il nous offre ici, en fin de compte, non seulement de remarquables portraits de femmes, mais surtout de belles histoires d'amour, de belles histoires sur les differentes – et controversiales – facettes que peut prendre l'amour. C'est un bon cru de Grossman. Partant d'une biographie reelle, se cachant derriere une biographie reelle, il ecrit un roman, il nous livre un recit emouvant, sur l'universelle enigme de l'amour et de ses avatars.

Commenter  J’apprécie          717



Ont apprécié cette critique (66)voir plus




{* *}