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Critique de akcd


Il y a de ces livres qu'il est indispensable de lire. de grands romans, dont la civilisation comprend la portée, au point que certains hommes de (peu de) pouvoir cherchent à les faire disparaître. L'histoire de Vie et destin et accessoirement le destin mêlé de Vassili Grossman et de Andreï Sakharov sont d'ailleurs comptés dans la superbe exposition Odyssée des livres sauvés, au Musée de l'imprimerie de Lyon (http://www.imprimerie.lyon.fr/imprimerie/sections/fr/expositions) jusqu'au 22 septembre 2019. Vous y découvrirez des bribes des actes commis par la folie humaine à travers les siècles et serez conforté.e.s dans l'idée que lire, c'est grandir.

Vie et destin, c'est une photographie de Stalingrad fin 1942 – début 1943, à travers une multitude de destins – tragiques, bien évidemment. Vies russes, allemandes, civiles, politiques et militaires, Vassili Grossman aborde tous les champs de l'horreur qu'a traversé cette époque. Et quand je dis qu'il les aborde, en fait il les fouille, il creuse, il déniche le moindre petit détail et l'expose devant nos yeux.

L'écrivain russe adopte un double regard dans l'écriture de ce roman. Chacun de ses points de vue est terrible et accusateur. Journaliste de guerre volontaire pour Krasnaïa Zvezda, le journal de l'Armée rouge, il a couvert la bataille de Stalingrad jusqu'en janvier 1943 ; ses détails des combats, jusqu'à l'anéantissement de la 6° armée allemande, sont d'un réalisme terrifiant. Juif d'origine, il consacre une grande partie du roman au terrible destin des Juifs d'URSS, massacrés par le régime nazi autant que par le stalinisme.

Derrière l'écrivain, l'homme apparait à toutes les pages. le lecteur vit presque en direct ses overdoses d'écriture, lorsque celle-ci devient impossible tant il est glacé par la cruauté des destins. Vassili Grossman est assis derrière son bureau vingt ans après les faits, les yeux exorbités par ce qu'il a vu de ses propres yeux ou lu dans des témoignages. Il s'arrête d'écrire et regarde, au-delà du visible, ce qu'aucun humain ne devrait avoir à vivre. Les passages du livre les plus difficiles à lire sont bien ceux-là. Pas un détail ne nous est épargné du massacre des populations juives d'Ukraine (vibrant hommage posthume à la mère de Vassili Grossman) ou de la fin inexorable des soldats russes piégés dans la maison en ruine entourée par la 6° armée allemande.

Ce livre est un traité de manipulation et de son pendant, la soumission des victimes. Qu'il est épouvantable et indispensable de lire les descriptions froides de Vassili Grossman ! L'acceptation progressive des Juifs d'Ukraine, à l'aube des chambres à gaz, tandis qu'ils creusent leur propre tombe et s'alignent devant pour mourir proprement, selon les ordres allemands… le destin de Viktor Pavlovitch, immense physicien russe d'origine juive lui aussi, broyé lentement et méthodiquement par le système stalinien… le lecteur a forcément moins d'empathie pour Krymov, ce communiste déchu, héros des grands procès staliniens de 1937 et éliminé par ses frères en 1943 ; le personnage semble avoir été créé pour immortaliser les méthodes soviétiques de contrôle des populations – dénonciations, dossiers sur chaque individu, interrogatoires, torture. Son procès dans Vie et Destin, absurde, ne semble écrit que pour rappeler au lecteur que le destin peut se retourner ; dans un régime totalitaire, les actes héroïques du passé peuvent être balayés, du jour au lendemain, d'un simple revers de main.

Régime hitlérien, régime stalinien, mêmes horreurs ? C'est ce que suggère Vassili Grossman, ce qui a tant effrayé son éditeur en 1960 qu'il a transmis le manuscrit de Vie et destin au KGB. Ce dernier a bien tenté de le détruire, mais l'écrivain a réussi à en sauver un exemplaire. Il n'a pas connu sa publication en Occident, survenue vingt ans après sa mort. C'est le sort des livres majeurs, de ceux qu'il est impossible de faire disparaître entièrement et qui, malgré les efforts de certains régimes politiques, passent à la postérité et deviennent légende.
Lien : https://akarinthi.com/
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