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Critique de Levant


"J'imagine les lecteurs de bonne volonté que leurs femmes auront décidés à parcourir ce livre…" Ainsi s'engage le chapitre V d'Ainsi soit-elle.

Hé bien moi, je vous le dis Madame Benoîte Groult, il y a des hommes qui auront lu votre ouvrage de leur propre initiative. Je suis de ceux-là. Ce n'est en outre pas la première fois que je lis un ouvrage féministe. J'avais commencé par le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, voilà bientôt deux ans. Vous me rétorquerez que c'est un peu tard. Je vous donnerai la réplique que l'on fait toujours à pareille admonestation. Mieux vaut tard que jamais. Je prendrai toutefois mes distances en déclarant ma neutralité. Je ne suis ni féministe ni misogyne. J'ai sur la nature humaine un regard asexué qui me fait parfois déplorer que la physiologie animale, qui est à la base de sa constitution, se soit vue affublée d'une intelligence laquelle la fait souvent agir en sa défaveur, quand ce n'est pas contre nature. Nature dans laquelle je confonds les deux sexes.

Benoîte Groult publierait son ouvrage en 2021, qu'y retrancherait ou ajouterait-elle ? Quel progrès ou quelle régression y ferait-elle valoir ?

Il y certes de nos jours une présence féminine plus importante à la représentation nationale. 8 femmes députées lors de la publication d'Ainsi soit-elle en 1975, 224 aujourd'hui. Mais serait-ce un progrès suffisant pour faire admettre à Benoîte Groult que la position de la femme a évolué dans le bon sens en notre pays, avant d'élargir le débat à la condition féminine de par le monde. Je suis un homme, j'aurais tendance à dire oui. Mais je suis aussi quelqu'un de prudent, qui se sait progresser en terrain glissant et ne veut pas se prononcer à la place d'autrui (substantif neutre fort heureusement). Allons-y donc à pas comptés.

Car j'ai lu en effet à la page 212 de l'édition le Livre de Poche toutes les occasions édictées pour un homme d'être taxé de misogynie, selon Benoîte Groult. J'ai donc peur d'aller plus avant dans cette chronique, au risque de faire un faux pas et être vertement recadré par les contributeurs de Babelio, dont on sait que la grande majorité est constituée de contributrices.

Je me suis risqué à lire Ainsi soit-elle. le risque étant, en qualité de représentant de la partie incriminée que je suis, de s'entendre dire des vérités quelque peu dérangeantes. Plongé dans cet ouvrage, j'avais l'impression d'être ce jeune homme que Benoîte Groult avait rencontré dans la Librairie des femmes, rue des Saints-Pères à Paris. Un intrus, un égaré ? Peut-être pas. Il avait osé franchir la porte de cette boutique qui n'affiche que des ouvrages d'auteures (ou autrices, que je trouve moins heureux) dans ces rayons. J'allais préciser auteures féminines. Mais je me suis rendu compte à temps que notre contexte linguistique ayant évolué – dans le bon sens ? – je m'empêtrais dans le pléonasme puisque le substantif se suffit désormais à lui-même pour indiquer le genre de celui ou celle qui tient la plume, plus souvent le clavier de nos jours. Il y a toujours des exceptions qui confirment la règle. Je ne me risquerai pas à féminiser sapeur-pompier.
Je me rappelle mon passage sous les drapeaux à une époque où les femmes faisaient leur entrée dans le métier. Jeunes enorgueillis de notre triomphante virilité sous l'uniforme, nous nous sommes entendus dire par un gradé qu'il y aurait désormais des femmes hommes du rang. L'institution a mis quelques mois à corriger le discours par une directive officielle. Il s'agissait alors de dire des femmes militaires du rang, et que cela valait pour les hommes.

Je n'étais donc plus vierge de lecture traitant du féminisme après m'être ouvert au sujet avec l'ouvrage de Simone de Beauvoir comme je l'ai déjà dit. Ouvrage qui m'avait ouvert à ce que mon éducation de garçon m'avait laissé concevoir comme naturel de traiter l'Autre avec morgue, avant que ce ne soit avec convoitise - l'Autre étant la femme et représentant quand même la moitié de l'humanité nous dit Simone de Beauvoir – que cette vision de la femme était le résultat d'une histoire datant de l'origine des temps depuis que l'homme s'est octroyé un statut de supériorité sur la femme. Statut dont elle peine encore à démontrer le caractère infondé, usurpé. Je ne vais pas dire que je tombais de haut. Mais s'entendre clamer des vérités propres à déchoir son acquit, inculqué, gravé dans la personne par une éducation ad' hoc - puisqu'il ne saurait être question d'inné en ce domaine - est toujours un peu déstabilisant. Il s'agissait donc d'une remise en question fondamentale.

Et pour ce qui est des vérités déstabilisantes, il y a ce qu'il faut dans l'ouvrage de Benoîte Groult. Elle nous les assène avec un langage certes moins policé que celui de Simone de Beauvoir dont le propos est aligné sur le registre philosophico-historico-sociologique édulcoré. Benoîte Groult n'hésite à renvoyer le mâle à ses insuffisances, à lui faire constater l'assoupissement de ses attributs virils à peine a-t-il volé un plaisir égoïste à celle à qui il n'a pas été capable de faire partager son extase fugace. Laquelle a quant à elle l'indulgence coupable de ne pas faire état de sa frustration. le verbe est cru avec Benoîte Groult. L'inventaire des motifs d'usurpation de supériorité est exhaustif. Et de déplorer que des millénaires d'injustice ne se corrigeront pas en quelques années, qu'il faudra encore attendre des générations avant le complet mea culpa masculin et espérer obtenir l'égalité des sexes. Au constat de l'inertie masculine, le compte n'y est donc pas encore en 2021 alors que je prête une oreille distraite à ce phénomène culpabilisant que quelques courageuses s'époumonent à clamer parfois au péril de leur vie.

On ne naît pas femme, on le devient nous a dit Simone de Beauvoir. Vous naissez hommes et voulez le rester et ne rien lâcher de votre statut usurpé nous dit Benoîte Groult. À quand ce que nous a promis la grande Révolution gravant sur le fronton de nos édifices publics une devise nationale qui peinent à se réaliser : Liberté Égalité Fraternité. D'autant que les Jacobins et autres Montagnards de service au pied du rasoir national s'étaient rendus compte, entre deux charrettes en chemin vers le supplice ultime, s'être quelque peu avancés quant aux prétentions égalitaires, réalisant ce qu'ils avaient à perdre. Dans leur esprit la devise n'incluait donc pas forcément nos consoeurs et il convenait de rabaisser les prétentions d'une Olympe de Gouge, pionnière du féminisme, à déclarer à la face des badauds avides de voir sa tête rouler dans la sciure que si la femme peut monter à l'échafaud, elle doit avoir le droit de monter à la tribune.

Même prévenu du blâme qui planait au dessus de mon incrédulité masculine, que d'aucunes pourront déclarer feinte, je dois quand même avouer être quelque peu abasourdi, si ce n'est effaré, par ce qui a pu être dit ou écrit par des personnes éminentes - des hommes bien entendu mais pas seulement lorsqu'on lit les propos de certaines femmes dont la reine Victoria - et dont Benoîte Groult nous fait l'inventaire dans son ouvrage, sans parler des mutilations sexuelles qui cantonnaient les femmes à la seule procréation les privant de toute sensualité . Écrivains, hommes politiques, psychanalystes (Freud a particulièrement les faveurs de notre auteure féministe), médecins et hommes de sciences et autres marabouts, tous y ont contribué, sans parler des hommes d'église qui bien entendu intervenaient quant à eux qu'en porte parole de Dieu, tous à proférer ignominies, insanités et menaces qui leur vaudraient aujourd'hui la saisine des tribunaux mais qui en leur temps ont conforté l'idée que "l'absence de pénis, c'est con". Dixit Benoîte Groult qui n'y va pas par quatre chemins pour dénoncer ce postulat faisant de la misogynie un racisme encore plus tenace, plus universel et surtout plus facile à exercer que tous les autres.

Voilà donc avec Ainsi soit-elle de quoi déchoir qui pêche par mâle attitude. Cette survivance d'un passé encore présent que n'ont pas encore nivelée les lois sur la contraception et l'interruption volontaire de grossesse chèrement acquises par celles qui ont eu le courage d'affronter des assemblées très majoritairement masculines. Ces dernières légiférant sans vergogne sur des questions spécifiquement féminines auxquelles ils ne pouvaient par nature rien comprendre puisqu'affaires de femmes. Femmes dans leur vécu intime, leurs entrailles comme le veut la physiologie mais plus surement dans leur coeur tant ces questions ont fait couler de larmes.

Et Benoîte Groult de secouer le cocotier, y compris la variété femelle de l'espèce, pour faire comprendre à ses consoeurs qu'elles ont leur part de responsabilité à se laisser enfermer dans le statut de dominées. J'espère Madame Groult que l'observation de votre postérité vous laisse quelque espoir, si cette notion a un sens dans l'au-delà, pour que ce cri de colère gravé dans les pages d'Ainsi soit-elle et abandonné à notre entendement désormais éclairé fasse enfin accéder la femme à cet état psycho-affectif que vous briguiez pour elle, en forme d'un idéal qui ne serait finalement que normalité : l'accomplissement de la personne enfin déconnectée de la notion de genre.

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