Quand on est celle ou celui qui reste, on se sent coupable. Je connais ça. J’ai eu envie de disparaître un nombre de fois incalculable. La vie, c’est parfois un labyrinthe dans lequel on se prend une claque tous les deux mètres. Mais il y a aussi des éclaircies, des sourires et des bonheurs qu’on n’attendait plus.
Mon coeur tout entier était devenu une “milonga”. Il ruisselait de la sueur de toutes les “milongas” de la Terre. Les “abrazos” du monde entier enveloppaient mon ventricule droit et toutes les “tandas” résonnaient à l’unisson dans chacun des battements de mon coeur.
Et pourtant, je ne savais même pas ce qu’était une “milonga”, une “tanda” ou un “abrazo”. Mon coeur, ce coeur tout neuf à la mémoire qui ne m’appartenait pas, lui, le savait.
Aujourd’hui, les revues et le linge sale se disputent un bout de plancher, les rideaux ne sont presque jamais tirés et les fenêtres rarement ouvertes. Il est solidaire de sa femme. Puisqu’elle ne voit plus le jour dans sa petite boîte, il partage lui aussi la même nuit.
Une fille sans parapluie qui ne se précipite pas pour trouver un abri, c’est pire qu’un adieu qui devient contagieux. S’ils savaient qu’un chagrin ne se sème pas en chemin, même avec des chaussures de marathonien.
Il est des instants dont la beauté indéchiffrable ressemble à cette dernière part de tarte abandonnée sur la table à côté du bouquet de la mariée. Cette simplicité des instantanés malhabile les empoigne tous deux jusqu’aux larmes.
Le monde serait une marée noire si tous les deuils conduisaient les cœurs brisés à la folie.
Certains mercis n’ont pas besoin de bouche ni d’oreilles. Ils n’ont besoin que de mains et de bras.
Il avait un de ces regards qui ne s’excuse jamais d’avoir gagné, d’avoir perdu, d’être parti, d’être resté. Un de ces regards qui, d’un battement de cils, vous remercie de ne pas avoir attendu d’excuses. Il n’avait jamais attendu d’excuses pour tout ce que la vie lui avait dérobé.
La voix du poète Christian Bobin se faufile dans l’habitacle et leur récite un poème :
“ Tu sais ce que c’est la mélancolie ? Tu as déjà vu une éclipse ? Eh bien c’est ça : la lune qui se glisse devant le coeur, et le coeur qui ne donne plus sa lumière. “
Le ciel pleure tout ce que les hommes sont incapables de cracher hors de leurs yeux fiers et repus de certitudes. Ils devraient pourtant savoir qu’au fond de la tristesse, on trouve parfois ce qui vaut la peine. D’être dit, d’être vécu, d’être fait ou d’être perdu.