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Critique de Aquilon62


Quand une lecture en amène un autre.....

"Au tribunal, Goering jouait sa partie, dans le déni et l'autosatisfaction qui avaient régi son existence, osant des traits d'humour. Ses coaccusés, après avoir passé leur vie à le haïr, reconnurent sa supériorité, admirèrent ses harangues. Goering était si satisfait de son parcours, et avait si bonne conscience au moment de passer par la justice finale, cette « farce de procès », qu'il était convaincu de rester dans l'histoire comme le bienfaiteur du peuple allemand. Une chose, cependant, fissura sa décontraction. On lui apprit que son Vermeer bien-aimé, Le Christ et la femme adultère retrouvé par les « Monuments Men » à Altaussee, était un faux.Une enquête avait remonté sa piste jusqu'à un obscur peintre hollandais, Han van Meegeren, [...] Quand il apprit la vérité sur son Vermeer, le visage de Goering se défit. Un témoin aurait rapporté qu'« il avait l'air pour la première fois de découvrir qu'il y avait du mal dans le monde »."

Cette citation est extraite du livre Rose Valland, l'espionne à l'oeuvre, de Jennifer Lesieur.
Après avoir refermé ce livre, j'ai voulu poursuivre comme pour parachever ma lecture, sur cette partie de l'histoire ou Goering voulant se constituer une collection d'art à la hauteur, quitte à être plus vorace que son numéro 1.
Jusqu'au jour où il se retrouva en possession d'un Vermeer que presque personne ne connaissait "Le Christ et la femme adultère" , pas même Hitler, qu'il se garda bien de prévenir.
C'était un tableau nimbé de grâce, de douceur, aux couleurs feutrées et à la lumière irradiant des visages : la quintessence du Siècle d'or. Sa rareté le rendait encore plus miraculeux, puisqu'il n'existait que trente-sept Vermeer certifiés au monde, et que celui-ci venait à peine d'être découvert, comme tombé du ciel...

Tombé du ciel pas tant que ça, car il s'avérait que ce tableau était l'oeuvre d'un certain Han van Meegeren, peintre né au Pays-Bas à la fin du XIXe siècle.
Sa carrière de peintre se mit lentement en place mais très vite à une époque où la peinture voyait naître régulièrement de nouveaux courants, van Meegeren réagissait aux nouveautés et aux modes en accentuant son isolement méprisant, en soulignant l'importance primordiale de la tradition et en dénonçant l'incapacité et l'improvisation absolue des soi-disant révolutionnaires.
Il va sans dire que ces attitudes ne plaisaient pas aux critiques d'art de l'époque.

Van Meegeren se lia étroitement d'amitié avec un autre peintre Théo van Wijngaarden et un journaliste Jan Ubink, deux hommes qui partageaient sa vie dissolue, méprisaient les modes du moment, condamnaient la superficialité de la littérature et de l'art contemporains et exaltaient l'éclatante grandeur du passé. Ils publiérent un journal "le coq de combat" - Tout un programme.

Mais très vite l'ennemi ou plutôt les ennemis : "c'étaient les critiques, avec
leurs pires complices, les galeristes, qui faisaient ou détruisaient une
carrière, inventaient à partir de rien, mettaient à la mode un peintre ou enterraient
implacablement le travail de cent autres artistes, tout aussi valables que leur
protégé. Pour couronner le tout, ils semblaient échapper à toutes les critiques,
vu que, même lorsqu'ils commettaient des erreurs grossières, leur réputation n'en
souffrait jamais."

Alors vint l'idée de peindre un faux Rembrandt et de le soumettre à l'oeil avisé des "spécialistes", mot que je mets volontairement entre guillemets, car il fut considéré comme authentique. "Mais quelques instants après, à sa grande
stupéfaction, van Wijngaarden se rua sur le tableau, brandissant une spatule de
peintre, et lacéra la précieuse toile sous son nez." ce qui n'est pas sans rappeler l'autodestruction du Banksy en 2018, métaphore pour certains d'un monde qui court à sa perte, métaphore pour d'autres de l'interaction entre l'art et l'argent...

Si un faux peut être pris pour une oeuvre d'un ancien maître, l'oeuvre d'un ancien maître peut tout aussi bien être prise pour un faux. L'auteur de nous citer l'exemple
Van Meegeren allait cette fois jeter don dévolu sur l'oeuvre de Vermeer, pour plusieurs raisons :
Les documents relatifs à sa vie son peu nombreux ;
L'artiste à très peu peint, il ne subsiste que trente-quatre toiles attribuables à Vermeer avec une certitude raisonnable. Mais quatre ou cinq de ces toiles sont très
contestées ;
Vermeer n'a pas signé toutes ses peintures ;
Les datations des oeuvres sont incertaines ;
Son oeuvre sombrera dans l'oubli pendant quasiment un siècle ;

Bref, "la victime idéale" ou tout du moins le sujet idéal pour des victimes idéales.
Et nous voici dans le position de celui qui regarde la couverture du livre (tirée du tableau un détail de l'oeuvre "L'Atelier". Car nous allons assister van Meegeren dans toutes les étapes de la construction du faux, voire de la création du faux.

Si un faux peut être pris pour une oeuvre d'un ancien maître, l'oeuvre d'un ancien maître peut tout aussi bien être prise pour un faux.
Et l'auteur de nous citer cet exemple : En1922, [...] , un autoportrait de Rembrandt, qui remontait à 1643, fut volé au musée du Grand-Duché de Weimar. Cette toile, d'une valeur×inestimable, se retrouva entre les mains d'un plombier d'origine allemande, Léo Ernst, qui habitait à Dayton, dans l'Ohio. Ernst devait déclarer, par la suite, avoir acheté ce tableau en 1934, pour quatre sous, à un matelot non identifié, embarqué sur un navire tout aussi fantomatique. Lorsque la femme d'Ernst découvrit, par hasard, la toile dans une vieille malle poussiéreuse que son mari gardait au grenier, le plombier déclara : “Ce n'est rien, juste une saleté que m'a vendue un filou.” Mais la femme d'Ernst avait fréquenté l'école des Beaux-Arts de Dayton : elle acquit la conviction que cette toile avait de la valeur. Elle la proposa à tous les antiquaires et à tous les galeristes de New York : ils lui répondirent unanimement, avec dédain, et en se fiant à leur instinct infaillible, qu'il s'agissait d'un faux mal exécuté, tout au plus d'une copie. Ce n'est qu'en 1966, quand les Ernst, après des années de recherches, trouvèrent un journal de l'époque qui décrivait dans les moindres détails le tableau volé à Weimar en 1922, que ces mêmes experts, précédemment interpellés, échangèrent d'avis et saluèrent la redécouverte d'un chef-d'oeuvre oublié."

Il reste que le fait le plus retentissant de cette histoire qui a tout du roman policier, est le fait que ce faux finira dans les mains de Goering, qui ne s'en remettra pas :
" Ainsi, au bout du compte, la seule défaite vraiment incontestable, aux yeux du maréchal du Reich, était celle que lui avait infligée un parfait inconnu, un faussaire néerlandais dont il n'avait jamais entendu parler. Les Alliés ne l'avaient pas vaincu. Il avait supporté, stoïquement, les pires humiliations et les interrogatoires les plus serrés, et en était même sorti triomphant : il n'avait ni abjuré, ni trahi ses “idéaux”. Après la condamnation, il s'était presque convaincu que le procès de Nuremberg n'avait jamais existé. Cela n'avait été qu'un rêve – un cauchemar, peut-être. Mais ça, c'était la réalité – quelque chose qu'il ne pouvait pas supporter. Car dans ce cas, plus unique que rare, c'était lui qui avait été victime d'une farce impitoyable, cruelle."

il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir..
Reste que de cette vie de faussaire, Luigi Guarnieri a relevé le pari d'en faire un VRAI bon livre alliant enquête, plongée dans le monde de l'art, immersion dans l'histoire, réflexion sur les jugements portés, les passions humaines, pour un VRAI plaisir de lecture.
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