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Critique de colimasson


Le monde moderne ne date pas de mai 68, ni même de la révolution française, ni même de la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, ni même du Christ en Croix, ni même de Socrate. le monde moderne, d'après la conception védique du temps, correspond au Kali-Yuga, et il aurait déjà plus de 6000 ans.


« La doctrine hindoue enseigne que la durée d'un cycle humain, auquel elle donne le nom de Manvantara, se divise en quatre âges, qui marquent autant de phases d'un obscurcissement graduel de la spiritualité primordiale ; ce sont ces mêmes périodes que les traditions de l'antiquité occidentale, de leur côté, désignaient comme les âges d'or, d'argent, d'airain et de fer. Nous sommes présentement dans le quatrième âge, le Kali-Yuga ou « âge sombre », et nous y sommes, dit-on, depuis déjà plus de six mille ans, c'est-à-dire depuis une époque bien antérieure à toutes celles qui sont connues de l'histoire « classique ». »


Au-delà de ces 6000 ans, les traces de toute civilisation humaine semblent d'ailleurs disparaître – bien que fut découvert récemment le site préhistorique de Göbekli Tepe qui aurait été occupé aux 10e et 9e millénaires avant Jésus-Christ, corolaire peut-être de l'abrogation de la « Loi des Mystères » permise par l'entrée dans la phase terminale du Kali Yuga. Hors cette exception, une sorte de barrière empêcherait naturellement les civilisations d'un Yuga de connaître les vestiges des civilisations des précédents Yuga. Les âges qui précèdent le nôtre apparaissent comme proprement légendaires.


« L'antiquité dite « classique » n'est donc, à vrai dire, qu'une antiquité toute relative, et même beaucoup plus proche des temps modernes que de la véritable antiquité, puisqu'elle ne remonte même pas à la moitié du Kali-Yuga, dont la durée n'est elle-même, suivant la doctrine hindoue, que la dixième partie de celle du Manvantara ; et l'on pourra suffisamment juger par là jusqu'à quel point les modernes ont raison d'être fiers de l'étendue de leurs connaissances historiques ! »


Les derniers millénaires de notre humanité nous ont éloigné de plus en plus du Principe, dans un mouvement inéluctable dont nous ne pouvons que constater les effets. L'ignorance croît et avec elle, la satisfaction des maîtrises de plus en plus illusoires que nous pensons asseoir sur la réalité. Différentes périodes se succèdent également au sein du Kali Yuga et si l'émergence du discours scientifique correspond à l'ère de la « solidification », la pensée ayant opéré de nombreuses fermetures épistémiques la condamnant à la matérialité, les décennies les plus récentes sont caractérisées par la « dissolution ». Les pensées de la déconstruction, le transhumanisme, l'économie spéculative, les réseaux virtuels, etc., constituent quelques illustrations les plus populaires de ce fait.


Les réflexions de Guénon associent régulièrement la pensée traditionnelle à l'Orient et la pensée moderne à l'Occident. Cet antagonisme ne doit évidemment pas être pris dans une stricte acceptation géographique. La nature orientale d'une attitude exprime sa capacité à rester fidèle aux principes de la tradition. La nature occidentale d'une attitude exprime la tendance croissante au dévoiement des principes traditionnels sous l'influence de l'action temporelle. Les véritables orientaux deviennent de plus en plus rares, isolés et muets à mesure que le Kali Yuga s'approfondit.


« Il faut qu'il y ait du scandale ; mais malheur à celui par qui le scandale arrive » est-il écrit dans l'Evangile. René Guénon dresse la liste des signes de la décadence croissante de notre temps. Non pas pour nous convaincre d'une théorie personnelle ; non pas pour nous donner envie de nous révolter ; non pas pour nous faire croire que nous pourrions corriger la trajectoire ; mais pour illustrer la justesse de la doctrine védique de la succession des âges. Nous nous éloignons du principe, c'est inéluctable. Lorsque les temps seront consommés, ils recommenceront. Pour autant, quand bien même nous ne pourrions pas nous opposer à ce mouvement, l'attitude que nous aurons essayé d'adopter en plein coeur de la tourmente ne saurait être indifférente.


« « La civilisation moderne, comme toutes choses, a forcément sa raison d'être, et, si elle est vraiment celle qui termine un cycle, on peut dire qu'elle est ce qu'elle doit être, qu'elle vient en son temps et en son lieu ; mais elle n'en devra pas moins être jugée […]. »


René Guénon pense qu'il est donc essentiel de cultiver la tradition alors même que le Kali Yuga nous plonge dans une obscurité sans cesse plus profonde. Les hommes qui auront su préserver la flamme de la tradition porteront peut-être directement l'heureuse responsabilité de permettre le retour d'un nouvel âge d'or. Les cycles s'enchaînent peut-être impitoyablement les uns après les autres mais qui sait si, de la qualité de l'enseignement traditionnel qui aura su être préservé, ne dépendra pas la perfection du cycle suivant ? René Guénon espère que « certains éléments occidentaux accompliront ce travail de restauration à l'aide d'une certaine connaissance des doctrines orientales, connaissance qui cependant ne pourra être absolument immédiate pour eux, puisqu'ils doivent demeurer occidentaux, mais qui pourra être obtenue par une sorte d'influence au second degré, s'exerçant à travers des intermédiaires […]. » D'une manière générale, « il y a lieu de faire appel à l'union de toutes les forces spirituelles qui exercent encore une action dans le monde extérieur, en Occident aussi bien qu'en Orient ; et, du côté occidental, nous n'en voyons pas d'autres que l'Eglise catholique. »


Cet essai, fondamental pour comprendre les tenants et les aboutissants de l'oeuvre de René Guénon, peut se compléter de la lecture des « Quatre âges de l'humanité » de Gaston Georgel – ouvrage dont il rédigea la préface. Nous devons nous souvenir que René Guénon ne prétendit pas inventer une pensée personnelle. Il ne cherche pas à convaincre qui que ce soit. La doctrine de la conception cyclique du temps, qui a traversé les millénaires, doit être acceptée totalement sous peine que tout le reste de son oeuvre ne devienne sujets à pinaillements et à chicanes. Une fois ceci intégré, les réflexions de Guénon constitueront une weltanschauung redoutable.
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