Second et dernier livre écrit par
Catherine Guerard, ce livre très étonnant écrit en 1967 a eu du succès, fut sélectionné pour le Goncourt et oublié comme son autrice. Sa forme tout d'abord est une longue phrase ininterrompue, sans point mais avec quelques majuscules de 165 pages . Nous plongeons dans les pensées du personnage, employée de maison qui décide de prendre la tangente et de vivre libre. le procédé de la phrase unique parvient néanmoins à recréer des dialogues. J'ai pensé à d'autres auteurs ayant utilisé ce procédé et notamment
Laurent Mauvignier dans son livre choc « ce que j'appelle l'oubli », soixante pages, une seule phrase qui vous sidère. Ici la phrase nous emporte doucement dans cette envie irrépressible de liberté qui conduit notre personnage ( nous ne connaissons pas son véritable nom et elle s'en choisira plusieurs) à quitter des employeurs bourgeois, un quartier avec ses commerçants et partir à la découverte de Paris. C'est l'étonnement « mais de quoi allez-vous vivre ? » Elle ne veut pas que l'argent commande sa vie , elle veut juste se promener, admirer les beaux arbres, les oiseaux ; elle part avec quelques paquets qui contiennent trois fois rien, l'un des paquets est plus précieux car il contient les lettres de Paul. On comprend au fil de sa déambulation que la disparition de Paul est encore sujet à déni. Au fur et à mesure de sa pérégrination dans Paris on peut s'amuser de sa découverte désappointée du self-service, de son parcours dans le métro sans tête de ligne mais avec les poinçonneurs pointilleux et les barrières automatiques qui barraient l'accès aux quais, les camelots devant les grands magasins, l'achat d'une rose baccara comme cadeau qu'elle s'offre, sa nuit dans un hôtel où elle craint de ne pas être libre de partir… Elle marche et de temps à autre se pose sur un banc. Elle se confronte à l'ubuesque : payer pour pouvoir s'assoir dans un jardin public, aux nombreuses interdictions qui fleurissaient alors dans ces espaces, à l'hostilité quand elle dort dans les couloirs des employés de maisons où visiblement on entrait sans problème (pas de digicode). Sa hantise c'est d'être abordée par quelqu'un, de devoir discuter avec les importuns, alors elle ment, s'invente y compris de multiples prénoms. Elle devient de plus en plus acerbe sur ses contemporains coincés dans des boulots qui les privent de liberté, elle ne veut pas être commandée par un quelconque besoin ou par quelqu'un, même bien intentionné qui lui propose de partir dans une structure d'accueil à la campagne. Elle fera cependant ce voyage en espérant que le potager ou la nature lui seront enfin accessible. Elle devient de plus en plus agressive et on la sent sombrer. La liberté a un prix et il est élevé pour celle qui ne peut pas transiger. Elle finit par faire peur, car sa détermination confine à la folie. La fin m'a fait penser au film de Agnes Varda « sans toit ni loi ». La déchéance arrive vite et la rumination est une bien mauvaise compagnie qui l'éloigne définitivement des êtres humains. Solitaire et volontairement marginalisée, sa disparition est le prix à payer pour en finir avec toute formes d'aliénation. Et pourtant on dira surement d'elle qu'elle était aliénée.